Abou Lagraa, un hommage à la Femme
Il n’y a pas d’introduction, de préparation: la voix voix d’emblée résonne dans le noir pour célébrer le corps de la femme, finement ciselé par la métaphore de fruits; la scénographie se résume à un simple voile moiré par un trait de lumière: il modèle des corps en ombre portée, une humanité un peu confuse et indistincte au fond de la scène. La danseuse émerge de cette frontière fragile, suivie par d’autres; toutes deviennent alors l’incarnation de la femme.
Le langage du corps est plus qu’énergique, il est vigoureux. Les figures sont concentrées, la cadence habite les corps jusqu’à la frénésie, possèdent les danseuses comme elles-mêmes prennent possession de la scène.
Ainsi commence l’hommage d’Abou Lagraa à la femme. «Son» Cantique des Cantiques est un pari, celui de transmettre cet antique poème en maniant le paradoxe: Abou Lagraa joue sur les écarts, et le ton de sa danse n’est pas celui que l’on pourrait attendre des mots lorsqu’ils sont prononcés. Sur ceux pleins de douceur, le geste peut être brutal, à l’image des variations du sentiment amoureux et de ses élans contrastés.
Abou Lagraa, le rythme propre de la danse
Telle est la richesse de cette approche: la danse est constamment en rupture de rythme, enfiévrée, ou en suspens. Au dessus de la scène, la video ne vient pas illuster ni souligner un propos; loin de tout didactisme, elle surgit d’une association avec une phrase, un geste, à son rythme propre.
Ici une image intemporelle, baigne le profil d’une femme dans la fluidité de l’eau; mais un peu plus tard apparaît celle, récente, de fanatiques anéantissant les sculptures sacrées; le passage est répété en saccade, reflet de l’obsession destructrice des auteurs de ce massacre.
Abou Lagraa, parler d’amour malgré la violence du monde
Abou Lagraa et Mikaël Serre tissent un univers dense et complexe autour du poème; il y a un va-et -vient naturel entre le texte antique et la difficulté du présent.
Le chant proclame que la plénitude ne provient que de l’amour d’un être unique, singulier, et non d’une quelconque fusion avec l’universel. Pourtant, en nouant à travers le temps ce corps à corps de la danse et des mots, Abou Lagraa et Mikaël Serre promettent d’éclairer le chaos de notre monde où l’amour côtoie la pure violence, l’humiliation.
Les comédiennes ont l’agilité de danseuses, et les danseurs sont des comédiens stoîques, là où il est même question de crachats et de viol.
C’est une oeuvre crue et salutaire qui bouscule, dont l’audace, comme celle du « Cantique des Cantiques » est encore porteuse d’espoir.
Cécile Roy, Médiatrice culturelle
Décembre 2016
Image à la Une : Le Cantiques des cantiques d’Abou Lagraa © Dan Aucante
L’actualité d’Abou Lagraa dans l’agenda DanseAujourdhui
Lire la critique d’Agnès Izrine pour dansercanalhistorique.fr
Voir des spectacles d’Abou Lagraa filmés en intégralité sur le site de Numeridanse.tv
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