« La danse est présente en chacun de nous. La seule différence, c’est que certains s’autorisent à la révéler, d’autres non. » Alexia Traore chorégraphe
Alexia Traore chorégraphe de la compagnie Dayma fait remonter son profond désir d’expression corporelle à ses racines italiennes et catalanes, dont elle n’a pas connu les danses. Avec l’écriture et la poésie, la danse est depuis son enfance un exutoire, un espace libérateur. En 1989, à 16 ans, elle découvre en amateure les danses tunisiennes auprès d’amies. Elle se forme à partir de 2001 aux danses arabes et berbères auprès de Saadia Souyah, dont la recherche puise aux sources du mouvement, loin des clichés folkloriques ou orientalistes ; ce travail est une exploration du mouvement, avec la respiration, le rapport à l’espace, à l’autre…outils exploités en danse contemporaine. Cette formation déterminante, et celles qui suivront à l’école Free Dance Song, révèlent à Alexia Traore son envie de relier certains codes de la danse contemporaine aux danses traditionnelles, comme une passerelle entre une esthétique ancienne et notre présent.
Soliste, improvisatrice, chorégraphe, elle accompagne depuis 2002 des musiciens aussi bien égyptiens, algériens que pakistanais, indiens ou afghans. Ces rencontres artistiques sont déterminantes pour comprendre ce qui habite sa démarche chorégraphique aujourd’hui.
Corps en résonance
C’est en écoutant Ustad Nusrat Fateh Ali Khan, un des maîtres du Qawwali qui a révélé cet art au monde entier à partir des années 1970, qu’Alexia Traore découvre un univers musical qui va marquer un point crucial dans sa recherche et l’amener à assumer la relation de sa danse à la spiritualité.
Le Qawwali est une musique de dévotion soufie originaire d’Inde et du Pakistan. Ces chants de louanges à Dieu et éloges au Prophète ainsi qu’à des mystiques de l’Islam sont des hymnes emplis de ferveur, d’amour et de compassion.
De la rencontre d’Alexia avec les frères Mushtaq* en 2015 naît le désir d’une création centrée sur la musique savante, semi-classique et mystique Qawwali. Le spectacle Noor, première création d’Alexia Traore (chorégraphe), associant ce dernier répertoire à de la danse, est présenté fin 2017 au Festival Soufi de Paris. Noor est également programmé à L’Institut des Cultures d’Islam (Paris) et soutenu par le CMTRA et les Chantiers de Babel (Rhône-Alpes).
Noor signifie la lumière, en arabe et dans un très grand nombre de langues.
En observant les musiciens se mouvoir dans l’espace de la scène, Alexia dit percevoir leur humanité, leur profondeur, la poésie spirituelle dont ils sont dépositaires. Elle ressent que leur présence physique manifeste leur dévotion, dans le chant comme dans le silence. Appartenant à la 7e génération de la Gharana (lignée musicale) de Gwalior et à la 5e génération de la Gharana de Taalwandi, Shuaïb, Hubaïb et Behlole Mushtaq, sont à ce jour les seuls musiciens de Qawwali à accepter d’incarner leur répertoire dévotionnel dans le cadre d’une mise en scène.
Noor est l’expression d’un dialogue étroit entre la danse et leur musique. Au fil de ce spectacle, Alexia Traore explore la sobriété et l’épure du mouvement décliné. Sa recherche chorégraphique s’élabore à partir d’improvisations en fusion avec la musique. A travers des danses d’une grande intériorité, elle recherche une liberté intérieure pour la partager avec le public. Par un détachement de l’anticipation du regard du spectateur, elle assume ne pas rechercher un résultat performatif dans la danse.
Elle danse pour transmettre un état. Ce qui l’intéresse, c’est que le public sente la relation et l’alchimie entre elle et les musiciens. La création est fondée sur l’union et la rencontre humaine culturelle et artistique. C’est avec une conscience aiguë que Noor prend le contre-pied des visions caricaturales pesant sur les cultures extra-européennes, en particulier les cultures liées à l’Islam. Ici l’altérité n’est pas un objet de désir ou de dénonciation, mais un sujet porteur d’harmonie, à travers la musique et la danse.
Les quatre artistes dépassent les clichés pour faire advenir sur scène l’essence de l’harmonie, de l’amour, de la spiritualité et de la bienveillance.
Le tournoiement au cœur de sa danse
« Quand je tourne, je me centre, dans l’intention d’offrir bienveillance et amour. » Alexia Traore
Depuis 2003, le tournoiement d’inspiration derviche est au coeur de tous les spectacles d’Alexia Traore. La danse des derviches tourneurs, expression mystique et méditative, a été fondée par Jalâl od-dîn Rûmî, penseur et poète soufi du XIIIème siècle. A l’origine, cette danse est pratiquée dans le cadre du Samâ, cérémonie spirituelle, sans aucune visée de spectacle. La danse contemporaine commence à s’y intéresser à partir des années 1990 lorsque le danseur contemporain turc Ziya Azazi la revisite avec talent. Après lui, de nombreux chorégraphes inspirés de son approche ont utilisé le tournoiement dans leurs créations.
Dans son tournoiement, elle souhaite porter un message d’amour et de bienveillance envers celui qui regarde. Mais aussi rendre hommage à la culture spirituelle indissociable de cette danse, le soufisme. « On assiste, avec l’effet de mode grandissant autour de la danse soufie, à des prises de position d’artistes qui éprouvent le besoin de mettre à distance, voire de renier l’archétype du derviche tourneur, dont ils reproduisent pourtant les techniques. Comme si la transgression était un passage obligé pour exister artistiquement. Paradoxe d’un monde en manque de spiritualité mais refusant de se l’avouer. »
Pour Alexia Traore, l’expérience du tournoiement nourrit son cheminement personnel. Tendre vers une dévotion artistique totale, loin d’une représentation égocentrée. Cette démarche lui permet de dépasser le seul objet esthétique et de rejoindre une quête spirituelle profonde, exprimée dans la danse.
L’imaginaire du corps urbain
Dans la pièce Wissal (« rencontre spirituelle » en langue arabe et prénom à la fois masculin et féminin), Alexia danse tandis que sont projetées des oeuvres de l’artiste urbain RamZ** dont le travail est plus proche du graffiti que de la calligraphie traditionnelle. Avec ce spectacle, elle précise et approfondit sa recherche chorégraphique en réaction intime avec la musique, questionnant son identité d’artiste aux influences multiples.
Pour cette création, les univers traversés au quotidien dans la ville, les personnes rencontrées sur son chemin forment son terreau d’inspiration.Œuvre du photographe et musicien Behlole Mushtaq, des paysages du 18e arrondissement de Paris, qui ont un sens pour elle, sont projetées en perspective des calligraphies.
Le spectacle commence par un solo de 45 mn d’Alexia avec les calligraphies projetées, suivi d’une performance de 15mn avec une femme artiste différente chaque soir. Au Lavoir Moderne Parisien, théâtre qui lui tient à cœur et où elle a représenté plusieurs créations, Alexia Traore (chorégraphe) invitera Marylène Famel, Sissi Imaziten, Habi Diabagate et Chloé Breillot. Puis elle invitera le public à déambuler, marcher et danser sur le plateau, en s’imprégnant des calligraphies, des photographies urbaines et de la musique.
Avec son engagement, sa passion et ses valeurs, Alexia Traore, chorégraphe, délivre sa vérité au public avec générosité, beauté, douceur et bienveillance. DanseAujourdhui vous invite à la découvrir sur scène.
Interview et portrait par Camille Jouannest
Retrouvez toutes les informations sur le site officiel d’Alexia Traore : alexiatraore.com !
Les réseaux sociaux d’Alexia :
Wissal (solo 45’, soirée 1h30)
Noor (2 formats : 30mn ou 60mn)
Noor est Lauréat du dispositif Les Chantiers de Babel 2019 et de la sélection des Musiques du monde 2018 du CMTRA
Le spectacle Noor est un projet étudié dans le cadre d’un mémoire de recherche par des étudiants en Anthropologie de l’Université Lyon 2.
Autres informations :
* Les Frères Mushtaq musiciens Qawwali : le site , la page Facebook et la chaîne YouTube
** voir le site officiel de Ramzi Saibi (calligraphe)
Crédits photo du portrait à la Une d’Alexia Traore, compagnie Dayma © Guillemette Silvand
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