Une chorégraphe en équilibre la tête au plus près du corps
Le nom d’Ambra Senatore a été proposé pour le prix des spectateurs de danse par le réseau DanseAujourdhui lors de la rencontre du 14 septembre 2014. Elue en deuxième parmi les sept chorégraphes proposés, le 18 septembre 2016, le noyau des passionnés du réseau DanseAujourdhui a voulu qu’elle soit de nouveau candidate pour la seconde édition du prix des spectateurs.
La dernière création d’Ambra, ARINGA ROSSA (2014), est une recommandation de fidèles passionnés. Si vous avez manqué la pièce en 2015, au Théâtre de la Ville, à Paris, vous avez une seconde et dernière chance, le samedi 19 novembre à la Maison de la musique de Nanterre : https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/sp_event/aringa-rossa-8/
Pour comprendre Ambra Senatore, commencez par lire le titre de sa thèse universitaire : « la danse d’auteur ».
Après l’avoir questionnée, je trouve que ce titre résume très bien l’intérêt que nous lui portons :
- Son équilibre entre le corporel et le mental : « la danse » dont elle est à la fois une interprète et une chorégraphe reconnue / d’« auteur » comme elle se désigne parfois en français. Mais il faut savoir que dans la langue italienne le mot « autori » est accepté dans un sens plus large et les chorégraphes se considèrent comme des « autore ».
- Sa recherche chorégraphique : créer une dynamique depuis un mouvement de balançoire entre des contradictions apparentes ou des oppositions. Et je choisis le mot « balançoire » sciemment pour déjà évoquer le caractère ludique, voire espiègle, des pièces d’Ambra.
La découverte de la danse entre pratique et théorie
Ambra Senatore enfant suit des cours de danse à Turin, Italie. Elle découvre le spectacle vivant, le théâtre, grâce à une enseignante. C’est adolescente qu’elle découvre sur scène la danse contemporaine : « Iphigénie en Tauride » de Pina Bausch, « Coppélia » de Maguy Marin et des pièces où danse sa cousine. Elle entre à l’Université en Lettres Modernes, option cinéma, théâtre et danse (matières abordées sous l’angle de l’histoire, non de la pratique). De fil en aiguille, elle débarque à Paris pour suivre une année à l’Université de Paris 8, et fait depuis un aller-retour incessant entre la France et l’Italie, où elle publie sa thèse sur la danse contemporaine en 2004 (publiée en 2007 aux éditions Utet, en italien). Ambra n’est ni exilée, ni immigrée, elle est encore en chemin avec ses valises.
Du regard à l’action
Il y’a deux cycles dans sa première vie d’adulte :
- 7 ans de réflexion, où l’expérience du regard est fondamentale (1997-2003)
- le passage à l’acte (2004-2014)
Elle se balance très tôt entre la pratique assidue de la danse et son analyse du spectacle vivant.
Étudiante, elle voit un spectacle par soir quand elle est à Paris, elle y investit son budget. Très tôt, elle découvre la performance et l’improvisation. Un de ses meilleurs souvenirs est « No paraderan » de Marco Berrettini où les spectateurs ont attendu la soirée entière que l’artiste invité monte sur scène. Cette expérience « géniale » cohabite avec son estime profonde pour Pina Bausch, Maguy Marin, William Forsythe, Merce Cunningham, Tadeusz Kantor, Peter Brook…En parallèle avec les cours de danse, elle se forme à une carrière universitaire en histoire de la danse.
Danseuse, en Italie d’abord, en France aussi, Ambra Senatore a été particulièrement marquée par son expérience avec Raffaella Giordano et Roberto Castello, chorégraphes italiens. En France, elle croise la route de chorégraphes, comme Jean-Claude Gallotta, et d’hommes de théâtre, comme Georges Lavaudant. Elle est interprète pour différentes compagnies.
La danse du point de vue de la création chorégraphique prendra le pas progressivement sur les autres arts et sur la recherche/l’enseignement de l’histoire de la danse. Son étude du théâtre et du cinéma laisse des traces évidentes dans ses créations chorégraphiques. Ambra Senatore passe à l’action en 2004 : elle signe et interprète son premier solo, Eda.
Premières épreuves
EDA (2004)
C’est un solo de 20 minutes qui a beaucoup tourné. Nous y reconnaissons le style d’Ambra dès la première scène. Regardez-le :
Hilarant et troublant à la fois. Pour Ambra, c’est une co-création avec les spectateurs car elle s’accorde déjà une marge d’improvisation en fonction de leurs réactions. J’y ai vu une Cindy Sherman en mouvement ! Ambra Senatore ne revendique aucun lien avec Cindy Sherman. C’est mon point de vue de spectatrice, un avis très personnel.
Cette première création fut si importante pour Ambra Senatore qu’elle a donné le nom de ce solo, Eda, à sa compagnie, créée en 2013, presque 10 ans après la pièce originelle.
MERCE (2005)
Cette pièce est son Annonciation, celle de la reconnaissance professionnelle. L’ange qui la prend sous son aile se nomme Jacques Maugein, Directeur alors du Château Rouge à Annemasse. C’est lui qui promeut depuis 2009 les pièces d’Ambra auprès de son réseau de programmateurs et de directeurs de théâtre en France. C’est Jacques Maugein qui l’accompagnera sur le chemin de la reconnaissance jusqu’à la création de la compagnie Eda en France en 2013.
Cette pièce est aussi sa première rencontre avec les spectateurs en France.
Synopsis : « Merce évoque l’individu et la création confrontés aux lois de la marchandisation. Dès lors qu’une pièce est créée, il est fréquent et troublant de réaliser que l’intuition, le désir, l’écoute, la recherche, la rencontre humaine, bref tous les moteurs nobles et profonds de l’acte créatif, passent au second plan. On est inévitablement confrontés au commerce.»
PASSO (2010)
Pour Ambra Senatore, c’est sa première pièce de groupe : 3 danseuses et 2 danseurs affublés de perruques et de robes identiques.
Programmée au Théâtre Paul Eluard de Bezons (qui ose une programmation d’avant-garde), la pièce retient toute l’attention de Claire Verlet, adjointe à la programmation du Théâtre de la Ville, qui trouve moyen de trouver date aux Abbesses très rapidement.
Souvenir personnel pour moi en découvrant avec mes amis Ambra Senatore aux Abbesses avec cette pièce dont je m’écrie en sortant « sacrilège » : elle ose égratigner mes idoles, Pina B., Anne T.K. ! Mais elle le fait avec beaucoup de respect et d’admiration ! Elle préfère, de son propre aveu, se moquer gentiment de ceux qui cherchent à imiter les Maîtres.
cf. Notre ressenti au moment de la découverte sur le blog DanseAujourdhui : https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/category/ambra-senatore/
Passo en tournée 2015 à Loiron et Poitiers
Une grande leçon pour Ambra : le partage avec les spectateurs nourrit sa création jusqu’à la rendre vitale. La satisfaction naît également de cette rencontre.
A POSTO (2011)
La pièce est parfaitement représentative des recherches chorégraphiques et théâtrales d’Ambra Senatore, un exercice du genre.
Ambra avoue elle-même qu’elle est exceptionnellement parvenue à faire ce qu’elle avait désiré dès le début. La pièce se termine magistralement sur la clé de voûte de l’œuvre d’Ambra. Ce tableau final évoque pour moi, Catherine, une fois de plus les travaux photographiques de Cindy Sherman.
Voilà ce qu’en dit Rosita Boisseau pour Le Monde (28.03.2013) : « Comme un cheveu sur la soupe ou un morceau de salade entre les dents ! A Posto (En place), spectacle pour trois femmes, de la chorégraphe Ambra Senatore, a tout d’une bulle d’incongruité semée de détails bizarres, de nuances insolites et de glissements de terrain à peine perceptibles. Jusqu’à ce que les personnages se retrouvent au bord du gouffre, l’oeil au beurre noir et le corps couvert d’hématomes, sans avoir rien vu venir. Trop tard, c’est la fin ! »
A Posto en tournée 2015 à Chaumont, Meyrin CH, Artigues
Mise en garde : les extraits-vidéo dénichées sur internet desservent cette excellente pièce. C’est pourquoi j’ai préféré n’en associer aucun à la chaîne DanseAujourdhui de YouTube.
Après un travail si abouti, il n’est pas étonnant que la pièce suivante, JOHN (2012), ait été pour Ambra un accouchement difficile. Pourtant, à cette occasion, Jean-Marie Gourreau a écrit une critique du travail de la chorégraphe qui nous paraît sonner très juste :
“C’est sans doute grâce à l’élaboration d’une telle atmosphère de bien-être et d’une telle insouciance communicative – qui sont d’ailleurs la signature de la chorégraphe, il faut le souligner – que celle-ci est devenue en très peu de temps la « coqueluche » des amateurs de danse contemporaine d’aujourd’hui. Mais ne nous y trompons pas, au travers de ces séquences de vie d’une apparente bonhommie, se cache une satire de notre société qui donne à réfléchir…”
ARINGA ROSSA (2014), en sélection du prix DanseAujourdhui des spectateurs de danse
C’est la nouvelle création, présentée à la Biennale de Lyon (sept.2014). Le nombre de danseurs est un défi car plus important que dans les pièces précédentes. Ambra est encore interprète, outre son rôle de chorégraphe, toujours la tête et les jambes…
Cette fois-ci, Ambra monte pour la première fois sur la scène du Théâtre de la Ville pour 4 représentations (4 000 spectateurs), après avoir connu les coulisses des Abbesses. C’est l’occasion pour vous de faire connaissance avec Ambra. C’est une recommandation de notre groupe de spectateurs avertis bien que nous découvrirons la pièce avec vous le jeudi 12 février au Théâtre de la Ville. A l’issue de la représentation, nous rencontrerons en privé Ambra pour échanger.
Pour réserver votre fauteuil au tarif groupe de 9€ à Nanterre le 19 novembre 2016 : https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/sp_event/aringa-rossa-8/
Lire la critique de Thomas Hahn pour Danser Canal Historique (2.10.2014)
En vous inscrivant à la newsletter, vous serez invité(e) en fin de saison à voter par voie électronique pour l’un des trois chorégraphes en sélection du Prix pour la saison 2016-2017. Allez-vous voter pour Ambra ? https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/newsletter/
PROJET 2015-16 : Petites briques
Pour la Biennale Danse à la Briqueterie (3 avril, 19h) et les Rencontres Essonne Danse, Ambra a conçu des petites formes dansées de 5 à 15 minutes, conçues comme différents épisodes de soirées entre amis. Son idée est d’en faire ensuite en 2016 une pièce complète. Ce projet est né de sa réflexion sur l’importance de la communauté et du partage d’attentions les uns envers les autres. La situation de crise que notre société traverse lui a permis d’extérioriser son désir de créer une pièce sur ce thème.
De ce projet est né sa prochaine création, Pièces, présentée à Paris en 2017. Venez avec nous aux Abbesses, nous rencontrerons Ambra à l’issue de la représentation : https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/sp_event/pieces-titre-provisoire/
SON INTERET POUR RENCONTRER LES SPECTATEURS
Il est occasionnel pour les chorégraphes de rencontrer directement leur public. Ambra a conscience d’être suivie par un public d’élèves des conservatoires et de danseurs parce qu’elle anime des ateliers ou des master class (par exemple à l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson en 2012, 2013 et 2014). Comme Kaori Ito, elle est en demande de contacts avec les spectateurs amateurs.
Des contacts établis avec des spectateurs non professionnels, elle comprend que son travail est apprécié pour la vitalité qui se dégage de ses pièces et pour leur dimension humaine. Je rajouterai l’humour et la subtilité comme autres composantes originelles de ces spectacles.
L’humain, voilà ce qui est au cœur du travail d’Ambra Senatore. Sa raison de faire un spectacle est autant pour la relation avec l’équipe artistique que pour la relation avec le spectateur avec lequel elle partage un moment. L’intérêt d’Ambra pour la performance ou l’improvisation, c’est aussi le désir d’être connectée avec les spectateurs. Le passage de la scène à la salle crée un moment de partage, qui rend le spectacle vivant irremplaçable.
Catherine Zavodska, 12 janvier 2015, réactualisation le 8 novembre 2016
Chaîne DanseAujourdhui sur YouTube :
Crédits pour la photo à la une © Rita Cigolini
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