Babel en Avignon 2016

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Cherkaoui et Jalet, invités au point presse du Festival d’Avignon

L’intelligence et la sensibilité de ces deux immenses artistes m’émerveillent à chaque fois. Les écouter exposer leur confiance dans la vie me réconcilie avec l’humanité. Rares sont ceux qui dans la tempête y voient clair. Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet ont en outre le talent pour partager leur foi en l’homme. Babel 7.16, création 2010 actualisée et adaptée au plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes, s’annonce comme un grand moment. Sidi Larbi et Damien en sont les messies.

8000 spectateurs auront le privilège de communier du 20 au 23 juillet 2016 dans ce lieu si particulier qu’est la Cour d’honneur, temple du Festival d’Avignon après avoir été le lieu des rivalités religieuses et politiques d’un monde médiéval en voie de disparition. Babel accomplit un projet d’envergure : amener 2000 personnes chaque soir à prendre le temps de réfléchir ensemble sur nos différences de langues, de cultures, mais aussi sur ce que nous partageons fondamentalement. Les billets ont tous été vendus par les billetteries. Tentez votre chance en venant faire la queue à 21H pour acheter un billet en dernière minute (guérite blanche sur la place, face à l’entrée principale du Palais).

Arnaud Laporte de France Culture interviewait Cherkaoui et Jalet, qui n’avaient pas besoin de ses questions pour être passionnants. Voici un résumé des propos des deux artistes ce mardi 19 mai, à quelques heures de la Générale de Babel dans la Cour d’honneur.

Babel est née de l’intention de traiter par la danse du territoire et du langage

Damien Jalet est franco-belge de Bruxelles (Wallonie). Sidi Larbi Cherkaoui est belgo-marocain d’Anvers (Flandres). Damien et Sidi Larbi collaborent depuis 2000. Les questions d’identité sont une réalité présente continuellement. Au moment de la première création, la Belgique entrait dans une phase de crise majeure de 18 mois, dans l’incapacité de nommer un gouvernement du fait des dissensions entre Flandres et Wallonie. Confortés par la lecture des Identités meurtrières d’Amin Maalouf et de History of Love de Nicole Krauss, Sidi Larbi et Damien constate que les hommes ont un besoin croissant de s’intégrer dans une tribu. Mais avec qui s’associer et pour combien de temps ? En parallèle, la manière de communiquer change en profondeur : l’usage des nouvelles plateformes numériques réduit la distance entre les individus. L’homme vit une tension contradictoire entre le très proche et le très lointain. Qu’est-ce qui nous unit ? nous sépare ?

Comment Cherkaoui et Jalet partagent ces contradictions dans Babel ?

 17 langues parlées sur scène

Si la danse se prête bien à créer un langage universel, les deux artistes reconnaissent expérimenter la difficulté chaque jour à travailler avec des interprètes de cultures et de langues différentes. Ce qui pourrait sembler facile, comme le comptage des mouvements, devient conflictuel. Ce conflit se résout à condition de s’accorder du temps à soi et aux autres. L’espace universel prend du temps à construire.

Une scénographie originale d’Anthony Gormley

Les structures du plasticien Anthony Gormley sculptent la scénographie pour fusionner avec le propos. Le volume de chaque forme est identique alors que les longueurs sont différentes, une manière d’exprimer l’égalité des hommes malgré leurs différences. La ligne formée par la structure est une convention, qui peut être transgressée. A chaque spectateur d’interpréter ce qui est à l’intérieur et ce qui est à l’extérieur. L’emboîtement des structures crée un espace partagé.

Anthony Gormley avait déjà réalisé la marionnette du duo Sidi Larbi Cherkaoui-Akram Khan.

Musiques d’origines différentes traçant comme une route de la Soie

On pourrait croire que le rythme est universel. Il ne le serait pas. Sur scène, tambours japonais, musique médiévale, influences soufies, musiciens du Rajasthan. Qu’est-ce qui empêcherait ces musiciens traditionnels de jouer de la musique populaire ou contemporaine ?

Babel sera la célébration de la coexistence

La violence dans laquelle nous plongent quelques fanatiques ne doit pas cacher que nous vivons presque tous dans le respect de nos différences. L’horreur ne doit pas nous faire oublier que nous sommes en vie, que certains continent de créer des spectacles magnifiques, de partager des projets, de créer en commun.

Le théâtre est un rituel qui nous permet de prendre le temps de réfléchir ensemble, que l’on soit d’accord ou pas. Le corps a besoin de temps pour apprendre et comprendre. 

Catherine Zavodska, Festival d’Avignon 2016

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