Bel emails Charmatz

bel-charmatz©Damien Meyer:Agence France-Presse — Getty Images, Herman Sorgeloos

La lecture des emails que s’échangent Bel et Charmatz est très instructive. Elle m’a passionné au point que j’ai dévoré ce livre tard dans la nuit, moi qui ne suis pas du soir, pendant ma semaine au Festival d’Avignon. J’en recommande vivement la lecture à tous les amateurs de danse contemporaine. Facile de se procurer ce livre, aperçu aux étalages des grands théâtres, en l’achetant en ligne sur le site des presses du réel. Pour la modeste somme de 12€, vous en saurez plus sur la danse contemporaine que tout autre ouvrage didactique consacré au sujet. La lecture est facile : l’écriture est vivante, limpide, et en cadeau-bonus l’humour anglais de Jérôme Bel, avec des phrases du style « j’adore travailler (peu) ».

Jerome-Bel-Emails-Boris-Charmatz

Jerome-Bel-Emails-Boris-Charmatz

Jérôme Bel et Boris Charmatz se découvrent pendant une année par emails (ed. les presses du réel). Suite à une commande du Festival d’Automne où Merce Cunningham est l’invité d’honneur in extremis, les deux chorégraphes sont invités à échanger par emails. Il semble qu’ils ne se connaissaient pas personnellement jusqu’alors mais suivaient conciencieusement leurs travaux respectifs. Le livre est la publication d’une correspondance par emails de l’été 2009 à l’été 2010.

Boris Charmatz et Jérôme Bel échangent sur leur démarche artistique et partagent leurs expériences, sur le mode de la discussion ouverte, à la recherche de la reconnaissance réciproque.Dès les premières pages, les artistes oublient le contexte de la commande et commencent à parler d’eux en échangeant sur  Merce Cunningham, dont la nouvelle de la disparition va les plonger plus loin dans un mouvement de sympathie réciproque. Le ton des échanges devient vite intime, oubliant le futur lecteur. La personnalité de l’un et de l’autre affleure sous les propos intellectuels. C’est une conversation passionnante, voire émouvante, que l’on surprendrait de la table d’à-côté. Il m’est arrivé à moi, lectrice, qui n’ait jamais discuté avec l’un ou l’autre de ces chorégraphes, de me sentir dans la position du voyeur.

Considérés comme des tenants du courant dit de la non-danse, Jérôme Bel et Boris Charmatz échangent sur leurs spectacles, ceux de l’autre, ceux des autres. Chemin faisant, c’est leurs recherches qu’ils exposent et l’évolution dans leur travail depuis 15 ans. Le propos est d’une intelligente clarté. Ils comparent leurs similitudes et leurs différences, voire leurs oppositions dans leurs travaux, mais il est aussi question de personnalité et de chemin de vie. La question de l’avenir se pose de manière angoissante pour Jérôme Bel mais le positivisme de Boris Charmatz fait contrepoids.

Les deux artistes partagent leurs expériences à la manière d’un séminaire d’entreprise. Cela les rend plus humains, plus proches de nous, leur corps les relient à la Terre quand leurs pensées s’envolent dans les hautes sphères de l’esprit. Ils traitent des nécessaires collaborations et discussions en confiance avec des proches sur leur travail, de leurs besoins personnels pour demeurer créatif, de la gestion de leur temps, du difficile équilibre entre repos et désirs etc.

Passionnants encore leurs échanges sur l’apport des artistes à la vie sociale : chorégraphes, danseurs mais également plasticiens, hommes de théâtre, compositeurs, sur les écrivains, les philosophes. Jérôme Bel et Boris Charmatz sont aussi des lecteurs, des visiteurs de musée, des spectateurs, des parents, des amis. Leur travail de chorégraphe, de directeur de compagnie, d’artistes associés, de directeur de musée (B. Charmatz) est un engagement social et politique sur lequel ils se questionnent l’un l’autre avec doutes et de peur de l’échec mais avec une conviction hors du commun, qui échappe souvent dans les spectacles. C’est une des raisons pour lesquelles je vous recommande la lecture de cette correspondance, qui révèle deux hommes partie prenante de notre Présent et renvoie le lecteur à ses propres responsabilités sociales. En tant que spectatrice et fondatrice d’une communauté de spectateurs, j’ai été évidemment interpellée par leur discussions sur le « spectatorship » (terme utilisé par J. Bel), où il est question d’émancipation et de transmission tant pour le créateur que pour le spectateur. Ce qui me choque très souvent de la part des acteurs culturels, artistes ou professionnels de la culture, c’est la dichotomie entre une forme de mépris pour l’individu qui est spectateur et la sacralisation du Spectateur. J’avoue avoir été agréablement surprise par les propos de Jérôme Bel, qui semble ne pas tomber dans cette idéalisation du public. Il peut se révéler féroce et exigeant vis-à-vis des spectateurs tout en étant très respectueux aussi de chacun.

Ma seule déception est que cet ouvrage ne soit pas encore édité au format numérique. Le livre pullule de références, ça aurait été génial de pouvoir accéder en cours de lecture aux vidéos des spectacles dont Bel et Charmatz font l’éloge, aux livres qu’ils citent et pour pouvoir commenter en direct et créer un échange avec les chorégraphes et les lecteurs. Ce format reste à inventer, une idée de projet pour la communauté DanseAujourdhui ?

Pour se procurer ce livre, aperçu aux étalages des grands théâtres, vous pouvez l’acheter en ligne sur le site des presses du réelPour la modeste somme de 12€, vous en saurez plus sur la danse contemporaine que tout autre ouvrage didactique consacré au sujet.

Catherine Zavodska

Pour découvrir tous les spectacles de saison de ces chorégraphes, tapez le nom de l’artiste dans le module de recherche sur ce site : https://www.mecenesdanseaujourdhui.fr/agenda-spectacles-danse-pres-de-chez-moi/

Sortie DanseAujourdhui pour voir « 20 Danseurs pour le XXè siècle » de Boris Charmatz le dimanche 11 octobre à l’Opéra national de Paris

Photos à la une : à gauche Boris Charmatz ©Damien Meyer/Agence France-Presse — à droite, Jérôme Bel © Getty Images/Herman Sorgeloos

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