Chorégraphes en confinement – témoignages

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Que vivent les chorégraphes en confinement ?

En ces temps de confinement, nous ressentons tous un besoin aigu de rester en contact avec ceux que nous aimons de près ou de loin. Vous aimez le spectacle vivant comme moi mais que deviennent les professionnels ? L’interdiction des rassemblements s’annonce exceptionnellement longue, certains commencent à parler de 2021. C’est une situation totalement inédite en France. Chacun vit et ressent cette situation différemment. Comment les chorégraphes en confinement, eux, traversent-ils cette épreuve ? Nous leurs avons demandé de témoigner et de partager leurs pensées. Jan Martens a répondu par vidéo, Alain Platel, Wim Vandekeybus par email, Kaori Ito, François Chaignaud, Amala Dianor, Ambra Senatore, Alice RipollNawal Lagraa et Abou Lagraa ont préféré le téléphone.

Choc

« Tout devoir stopper d’un coup, c’est comme avoir un accident » dit Wim Vandekeybus. Le fait que cette décision politique ait été prise dans la plupart des pays presque au même moment est incroyable, voire effrayante, personne n’aurait imaginé que cela puisse se produire un jour.

Le confinement bouscule l’équilibre famille/travail. L’annulation des répétitions, des représentations, des tournées internationales, des projets socio-culturels est un « choc », un « écroulement » durement vécu. Alice Ripoll est arrivée en Europe le 10 mars obligée de rentrer au Brésil son pays le 14 mars. Certaines créations en projet sont même remises en cause parce que le confinement rend tout simplement impossibles les conditions de leur réalisation. Une des spécificités des compagnies de danse, par rapport au théâtre par exemple, est de réunir au plateau des danseurs résidant dans des pays différents. Le choc, c’est aussi la prise de conscience que tout peut s’arrêter, dit Kaori Ito.

La situation familiale, comme l’hospitalisation d’un proche, l’éloignement d’un compagnon ou des enfants amplifie l’onde de choc et a souvent pour conséquence solitude et inertie. Avec l’écoulement des heures, des jours et des semaines de confinement imposé, la situation évolue. Des états émotifs différents les traversent. Nawal Lagraa se dit hyper angoissée pendant la première quinzaine, ressent le stress qui traverse son corps, comme si « ses mains et son corps étaient coupés de la tête qui psychotte ».

Pour certains, le quotidien s’améliore, pour d’autres la durée incertaine du confinement le rend « lugubre » et asphyxiant. Plusieurs ne pouvaient pas imaginer créer de la danse à distance et voulaient tout arrêter en terme de création. Finalement en observant la solitude des danseurs, Alice Ripoll reprend le travail avec les danseurs sur internet sur les 18 représentations, 4 ont été reportées seulement. Au Brésil, cela signifie qu’ils ne seront pas du tout payés tant que les représentations n’auront pas eu lieu.

Impuissance

Pour les chorégraphes en confinement, c’est dur de penser aux personnes les plus fragiles, de ne pas savoir comment aider, d’assister impuissant à l’exacerbation des inégalités. Conscience que « certains destins seront broyés » par cet épisode. François Chaignaud pense par exemple aux élèves qui devaient sortir diplômés du Conservatoire cet été. Wim Vandekeybus pense que la crise sera pire pour les plus jeunes qui sont « si impatients de créer, de faire, de découvrir », à la fois s’il était encore jeune, il pense que rien ne pourrait l’arrêter.

Penser aux plus faibles, à ceux qui sont confinés dans de mauvaises conditions. Ceux qui sont impliqués, comme Ambra Senatore à la direction du CCN de Nantes, dans les actions de médiation culturelle connaissent les bénéficiaires les plus fragiles et appréhendent que tous les efforts accomplis depuis des années envers ces publics soient balayés par la crise irrémédiablement.

Retour à l’équilibre

Les chorégraphes qui ont des enfants encore mineurs, un.e concubin.e, se réjouissent de vivre ce moment en famille, comme un jardin secret dont ils n’avaient jamais pu pousser le portillon à cause du rythme effréné des créations et des tournées. Se poser chez soi, commencer un potager ou planter des tournesols avec son fils, s’émerveiller de l’arbre sous nos fenêtres comme Jan Martens, faire connaissance avec le chiot adopté, se promener dans les champs. Les enfants d’artistes semblent les plus heureux dans ce nouveau quotidien.

Passage à l’action

Si les chorégraphes en confinement interviewés ne sont pas inquiets pour eux-mêmes, ils le sont pour les personnes avec lesquelles ils travaillent. Toute l’équipe des Ballets C de la B, dit Alain Platel, est au chômage jusqu’à l’été. Pour la compagnie de Wim, Ultima Vez, les tournées représentaient 50% des ressources. Le contrecoup de la crise s’annonce énorme.

Nawal et Abou Lagraa, partenaires de travail depuis 14 ans, en ménage avec deux jeunes enfants, ont organisé le travail en alternance : 1 jour l’un travaille pour la compagnie tandis que l’autre s’occupe du foyer, l’inverse le lendemain. Au sein de leur maison, ils ont instauré une « trêve » (le terme fait écho à la guerre déclarée de Macron), chaque jour de 13h30 à 15h, chaque membre de la famille s’isole. Nawal lit beaucoup pour s’évader, une nécessité.

Comment défendre le premier cercle professionnel ? La situation des plus précaires est prise en compte. Les danseurs qui avaient besoin des spectacles annulés pour confirmer l’intermittence, les travailleurs au statut d’indépendant ou auto-entrepreneur. Les compagnies cherchent par tous les moyens à payer tout le monde en cherchant la meilleure et la plus pérenne allocation des ressources. Cependant les compagnies sont dépendantes des décisions de chaque théâtre. Certains théâtres n’ont pas payé certaines compagnies suite à l’annulation de représentations malgré les préconisations du Ministère de la Culture de payer les cachets pour préserver la chaîne des paiements. Chaque compagnie voit nombreuses représentations annulées, dans le meilleur des cas reportées la saison prochaine. Lors des premières semaines de confinement, la charge de travail dans les compagnies a été énorme pour gérer les plannings de tournée 2020-2021, comprendre les aides gouvernementales, appliquer les procédures en fonction de la situation et du statut de chaque personne (danseur, intermittent, technicien, indépendant, musicien etc.). Au Brésil, le gouvernement a décidé d’apporter une aide équivalente à 50% du SMIC local aux nouveaux chômeurs confinés, les danseurs espèrent pouvoir en bénéficier.

Après 5 semaines de confinement, reprendre comme avant leur paraît déjà illusoire.

Tous ont été sollicité.es pour se filmer dansant ou s’exerçant en situation de confinement. Aucun n’en a ressenti le désir, quand ce n’est pas de la tristesse à l’idée de le faire : quel sens donner à ce geste ? pourquoi danser ? comment se mettre en mouvement seul.e et sans public ? Ils observent comme nous que la Toile offre énormément de choses mais le moteur de leur travail, c’est l’interaction dit Amala Dianor, la co-présence selon Ambra Senatore.

Les chorégraphes continuent-ils de créer et de travailler en confinement ?

Nous partagerons leurs témoignages sur leur travail actuel dans notre prochain article. Wim Vandekeybus voit les compagnies « faire de l’aviron dans une rivière à sec ».

La mission de DanseAujourdhui et de l’association Les Mécènes de la Danse est de créer des liens directs entre spectateurs et chorégraphes à travers des rencontres-artistes, l’organisation d’un Prix des spectateurs, suivi d’une collecte de fonds en faveur du lauréat.

Les visio-rencontres organisées par Les Mécènes de la Danse :

Samedi 25 avril, 17h-18h : JAN MARTENS

Samedi 9 mai, 17h-18h : AMALA DIANOR

Les membres de l’association seront de fait invités à y participer.

En savoir + sur le Prix des spectateurs 2020

Catherine Zavodska

21 avril 2020

Photo à la une – Kaori Ito Robot, l’amour éternel © Laurent Paillier

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