Dimitris Papaioannou – L’art et la matière

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Le chorégraphe grec Dimitris Papaioannou était pour la première fois sur une scène française, mi-octobre 2016 au Théâtre de la Ville. Son spectacle « Still life » revisite le mythe de Sisyphe sur un mode lunaire et plastique. Eblouissant.

 Il y a quelque chose de paradoxal à intituler une chorégraphie « Still life » . Littéralement une vie immobile, une nature morte en français. Comme si Dimitris Papaioannou cherchait ici la limite de son art, avec des artistes presque immobiles, ployant sous le fardeau.

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©Miltos Athanasiou

Et c’est vrai qu’on danse peu dans ce spectacle où les somptueux décors de scène (faits de plastique et de matelas de mousse !) nous transportent bien au-delà des murs.

Les danseurs y semblent écrasés par ces pierres massives qu’ils doivent constamment tirer tels des Sisyphes. Mais surtout par ce demi-globe de plastique transparent, dans lequel circulent des nuages, qui occupe toute la partie haute de la scène. Sous sa lumière blanche, les êtres s’agitent hors du temps ou dans un temps suspendu, celui du mythe.

Drôles de fardeaux réinventés pour l’occasion, les pierres de ce « Still life » ne sont pas celles que l’on croit.

Derrière l’écorce un peu dure qui s’effrite, ces immenses carrés de mousse deviennent des interfaces terriblement facétieuses. Elles révèlent une bouche béante en leur milieu, qui aspire ou déverse les corps des danseurs au gré de leurs envies. Les mélanges des corps se font alors cocasses. Et l’on voit se combiner alors à l’infini des « hauts » et des « bas » dépareillés, comme ces figurines de carton qui permettent tous les assemblages…tête de sirène, corps de princesse et jambes d’athlète.

Les mouvements sont lents, très lents et participent à cette pesanteur qui imprègne tout le tableau. Imperceptiblement les danseurs sortent du fond de la scène plongé dans la nuit, et y retournent .

Dans ce spectacle qui développe de façon drôle et poétique le mythe de Sisyphe les hommes besogneux semblent condamnés à l’absurdité de leur tâche. Petit clin d’œil à la crise qui étrangle aujourd’hui leur pays, la Grèce, et à l’émigration qui fait partie de son histoire, les danseurs semblent tout droit sortis de photos noir et blanc du début du siècle dernier. Costume sombre et moustache noire. Ce sont bien des travailleurs. Les femmes quand elles n’endossent pas ces costumes d’ouvriers sont des muses. Drapées dans de longues robes crème, elles s’éloignent comme un mirage. Derrière un paravent de plastique (encore) qui vibre pour mieux réfléchir la lumière et nous éblouir, ces créatures irréelles disparaissent dans les tréfonds de la scène. Cette nuit qui aspire tout alors que du ciel, la sphère descend pour écraser un peu plus les hommes.

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©Nysos Vasilopoulos

Mais la rébellion n’est pas loin. Dans un geste sans doute plus poétique que politique, l’homme s’empare d’une pelle et repousse délicatement les limites de cette sphère qui l’écrase. La sphère se fait alors vague, élément liquide qui vient bercer de son ressac l’homme allongé et endormi.

Il n’y a ni début ni fin , dans ce spectacle . Les spectacteurs hésitent d’ailleurs sur le moment où il faut applaudir. Une manière de suspendre encore le temps de cette « vie immobile ».

Frédérique Lebel, septembre 2015

Journaliste, Accents d’Europe (RFI)

Consulter le site de Dimitris Papaioannou : http://www.dimitrispapaioannou.com

STILL LIFE (2015) / teaser from Dimitris Papaioannou on Vimeo.

Image à la une © Miltos Athanasiou

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