Elena’s aria d’Anne Teresa de Keersmaeker, une adole-dance difficile ?

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Elena’s Aria (1984)  reprise
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Compagnie Rosas
lumières
Anne Teresa De Keersmaeker
costumes 1984 : Rosas, Annette De Wilde
reprises Anne-Catherine Kunz
direction des répétitions Muriel Hérault, Fumiyo Ikeda, Nadine Ganase
assistante à la direction artistique Anne Van Aerschot
créé en 1984 avec Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey, Nadine Ganase, Roxane Huilmand, Fumiyo Ikeda
musique  E. Di Capua :Vieni sul mar, O sole mio, Santa Lucia ;  G. Bizet :Les Pêcheurs de perles ; G. Donizetti : Lucia di Lammermoor ; W. A. Mozart : Sonate c-dur KV 545 facile / andante enregistré par Friedrich Gulda
dansé par Anne Teresa De Keersmaeker / Sue-Yeon Youn, Tale Dolven, Fumiyo Ikeda, Cynthia Loemij, Samantha Van Wissen

Difficile cette pièce. Même aujourd’hui, 30 ans après sa création. 
Difficile, car Anne Teresa de Keersmaeker est ici, à 27 ans, sans concession (l’est-elle jamais ?) :  
  •  le ballet (hum, peut-on qualifier de ballet cette oeuvre ? comment appeler une œuvre de danse contemporaine ?) est long. On s’ennuie un peu, et il le faut pour moi la chorégraphe nous parle du temps passé et de la volonté de passer à une nouvel age

  • les gestes de danse classique sont tranchants (et dire que parmi des milliards d’être humain, nous sommes capables de savoir qu’il s’agit d’un geste d’une unique personne !)
  • la danse revendique (mais quoi au juste ?) et agresse un peu le spectateur (je me souviens d’avoir pensé à ma première vision de rosas danst rosas qu’il y avait du féminisme agressif dans cette danse)
  • les danseuses se roulent par terre
  •  chacune veut occuper les fauteuils des autres
  • les vidéos projetées sont celles de ponts et d’immeubles qu’on fait sauter. 

J’entends que la danse classique est à dépasser ; qu’il faut couper les ponts (souvenons-nous que la jeune Anne Teresa de Keersmaeker a pris des cours avec Béjart, y pense-t-elle ici ? moi oui, surtout après la soirée de l’Opéra de Paris !). Couper, c’est difficile, mais çà doit être fait. J’entends ici le cri d’une chorégraphe qui comprend déjà son importance et prend au sérieux son rôle : elle affirme qu’elle doit danser autrement, et que la danse est difficile. Elle affronte sa propre adolescence de danseuse et chorégraphe. Elle se cambre, elle nous ennuie, elle met une soufflerie qui occulte la musique, elle nous impose un discours de Castro, elle occupe plusieurs fauteuils, elle nous projette des destructions de ponts.

Moi, pauvre spectateur, je souffre, je supporte. Puis je suis emporté.
La musique se fait entendre comme étouffée, puis monte crescendo durant toute la pièce. C’est d’ailleurs un morceau de Verdi qui donne le titre à la pièce, pourquoi ce choix ?
Ma partie favorite est le dernier moment de la pièce : le rideau se ferme et les 5 danseuses s’assoient juste au bord de la scène. Une sonate de Mozart se fait entendre.  Les danseuses retrouvent des gestes féminins, comme de petites filles qui apprendraient des gestes de femmes ;  comme de jeunes danseuses qui apprendrait à faire tel ou tel geste à la barre du studio.
Je vois aussi la chorégraphe aujourd’hui célèbre, dont l’œuvre est déjà devenu chef-d’œuvre, se pencher vers ses travaux lors desquels il y a 30 ans elle pariait avec elle-même qu’elle bâtirait une œuvre chorégraphique nouvelle. C’est touchant, émouvant, simple. 30 ans plus tard, les gestes sont sans doute moins violents, moins directement revendicatifs, mais plus las aussi, moins vifs mais plus humains, plus désespérés, plus désespérants ? Cela je l’imagine car je découvre la pièce aujourd’hui ! Donner ce ballet (…) aujourd’hui est-il signe d’un nouveau passage pour la chorégraphe ?
Anne Teresa de Keersmaeker a gagné son pari, passé son adolescence, et créé une œuvre.
Critique F*
Photo credits Jean-Luc Tanghe, Herman Sorgeloos

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