C’est l’histoire d’un garçon qui se voyait chef d’orchestre et qui est devenu chorégraphe.
Est-ce un coup de foudre qui l’a saisi lors de cet atelier de danse dirigé par Nir Ben Gal ? Emanuel Gat a 23 ans lorsqu’il découvre la danse et s’y lance à corps perdu. Il intègre immédiatement la compagnie de Nir Ben Gal en tant que danseur et participe à des tournées internationales. Deux ans plus tard (1994) il débute comme chorégraphe et 10 ans après il fonde sa propre compagnie, la Emanuel Gat Dance à Tel Aviv. En 2004, deux pièces Winter Voyage et Sacre marquent le début de la notoriété. En 2008, il s’installe avec famille et Compagnie à Istres dans le Sud de la France, d’où il rayonne, autant sur le plan national qu’international.
Emanuel Gat se dit chorégraphe mais il aussi athlète, musicien, artiste, observateur, directeur et chercheur. Il est aussi passionné que réfléchi, aussi modeste que directif. A voir ses interrogations et ses pièces, on se dit que la chorégraphie lui est tombée dessus comme un caprice du destin, et qu’il aurait aussi bien pu devenir ingénieur, physicien ou mathématicien car il semble mû par le goût de la recherche. Mais rien d’intellectuel ni d’abstrait (pour lui, un mot contraire à la danse) dans les pièces exubérantes, intensément charnelles qu’il produit, sensuelles comme Le Sacre (2004), festives et ludiques comme Works (2017) ou Brilliant corners (2017).
Inventer ou Découvrir
Pour Gat, il y a deux manières d’aborder la chorégraphie. La première consiste à penser que l’on va extraire du néant quelque chose d’inédit. La seconde pose comme principe que tout préexiste, l’acte créatif consistant à découvrir, à faire émerger des logiques et des mécanismes préexistants. Emanuel Gat relève de ce second courant et il remarque que plus de 20 ans de recherches l’ont rendu beaucoup perspicace et apte à déceler ces logiques chorégraphiques.
Processus ou production
Emanuel Gat : » Je ne crée pas de pièces mais un système chorégraphique évolutif, chacun de mes spectacles est comme un instantané pris à un moment précis de ce système, un produit de recherche de laboratoire ».
Dans le système Gat, la règle prime sur le contenu, la structure sur la production et cette supériorité de la procédure sur le contenu explique sans doute ses propositions récentes d’ouvrir le public aux processus de création, lors du festival de Montpellier Danse en 2017.
Le jeu : outil de création chorégraphique
Gat fait du jeu un outil de création, point de départ de son travail avec les danseurs.
Il donne en exemple la règle suivante: choisir et maintenir une distance donnée avec un partenaire choisi (le choix n’implique pas une symétrie). Multiplié par une dizaine de d’individus en mouvement cela donne des résultats inattendus, des situations complexes pourtant toute régies par cette règle sous-jacente. Le jeu implique des participants, Gat est un chorégraphe de groupe et d’interactions plus que de solo. Il attend de l’interaction qu’elle fasse surgir du plaisir, du stress, de l’harmonie, de la sensualité, de la tension. Le jeu a le pouvoir formidable de permettre un résultat différent à chaque partie et Emanuel Gat aime se faire surprendre, son enjeu au delà du jeu.
Un mouvement qui va de l’intérieur vers l’extérieur
Le chorégraphe ne part jamais d’un thème ou contenu sémantique. Il débute son travail avec une règle simple donnée aux danseurs, qu’il complexifie, et dont émergera un contenu. N’imposant pas de thème, Gat fait le choix d’aller puiser le matériau chez ses interprètes et postule que quelque soit la réponse du danseur, pour autant que ce dernier possède certaines qualités (l’acuité, une conscience et attention aiguisées étant au premier plan) cette réponse aura du sens. Sans cette intériorisation et appropriation la chorégraphie ne peut pas fonctionner.
Un travail collectif et collaboratif
Une fois la structure chorégraphique créée, Emanuel Gat autorise une marge de spontanéité et de liberté chorégraphique équivalente à l’interprétation des standards musicaux.
La modestie qu’il affiche en affirmant « Je n’invente rien mais je crée l’environnement pour que cela arrive… »ou « Un esprit collectif sera toujours plus créatif qu’un esprit isolé » s’accommode cependant de son statut de leader car il ajoute « Le processus d’assembler le réflexion collective ne peut être efficace que lorsque qu’il est le fruit d’une vision individuelle…. Les synergies réclament des lignes directrices et les collectifs ont besoin de chef pour les organiser et les diriger« [1]. Comme danseur, comme chorégraphe et comme tant d’autres, il est constamment en tension entre deux pôles : dedans ou dehors, en immersion ou en direction, être ouvert tout en étant celui qui ordonne. Il recherche des synergies entre danse et musique, danseurs et musicien pour Sunny (2016) ou entre regroupement inédit comme il le fait avec l’ensemble moderne de Frankfort pour Story Water (2018).
Mobilité : ce qui caractérise l’art et la vie
Emanuel Gat préconise la mobilité d’esprit et la capacité de toujours remettre en cause les idées, opinions ou perceptions.
C’est pour lui la nature même de l’activité artistique. Ainsi une chorégraphie figée ou permanente équivaut à une chorégraphie morte « The more a choregraphy tend to be permanent, the more it tends to be lifeless » (12 avril 2018). Dans le champ d’action qu’il s’est donné il s’agit de s’ouvrir à d’autres pratiques, d’autres musiques, d’autres acteurs. Il n’est pourtant pas aisé de se dégager des croyances et principes sur lesquelles repose le système ici chorégraphique que l’on s’est construit. Affirmer à propos de Story Water qu’il s’agit « de croire que la chorégraphie concerne plus les interactions que les mouvements, les personnes que les compositions et les situations concrètes que les idées et concepts.« [2]c’est mettre d’autres mots sur les phénomènes observés et recherchés depuis toujours par le chorégraphe et l’on se dit plutôt que Gat persiste et signe, sans qu’il y ait là matière à reproche.
Nécessité et évidence
« La chorégraphie doit fournir aux danseurs des raisons évidentes, immédiates, claires, urgentes et sensibles de se mouvoir… «
Le mouvement doit être une nécessité et non un prétexte, il doit s’imposer et « libérer le danseur de la nécessité de prétendre » répondant également ainsi à l’exigence d’efficacité chorégraphique.
« Qu’est ce qui est juste ? Quel est le prochain meilleur mouvement, et ceci à chaque instant du processus. ..Le processus chorégraphique avance à travers le nombre infini de fois où nous répondons à cette question« [3]. En ces mots simples, Emanuel Gat nous livre sa profession de foi de même que la première des règles dictant son processus chorégraphique.
Ildiko Dao, 12 juin 2018, pour DanseAujourdhui
Contact : ildiko@lamuniere.ch
Visiter le site officiel d’Emanuel Gat
Portrait à la une © Emanuel Gat
Emanuel Gat au festival d’Avignon 2018
Notes :
[1]https://emanuelgatdance.com/choreographers-notes/22 février 2018
[2]https://emanuelgatdance.com/story-water
[3]https://emanuelgatdance.com/choreographers-notes/10 août 2017
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