Jann Gallois, l’exercice de la liberté

Jann-Gallois©jodiecarter

Jann Gallois est en sélection du prix des Mécènes de la Danse

Jann (homophone de Jeanne) est la junior de notre prix des spectateurs de la saison 2015-16. C’est une toute jeune chorégraphe de 26 ans, vite repérée comme danseuse par les chorégraphes (Sébastien Lefrançois, Sylvain Groud, Angelin Preljocaj, Kaori Ito). Elle est déjà connue des critiques de danse. En août 2015, le grand magazine allemand Tanz la consacre Meilleur Espoir de l’année. Elle s’est déjà vue décernée plusieurs récompenses. Elle est la première à s’en étonner alors qu’elle bosse d’arrache-pied depuis le lycée. Sa détermination côtoie une sensibilité toute féminine.

Son parcours de 16 à 26 ans peut se résumer en deux tranches de vie : d’abord l’explosion du cadre, ensuite sa reconquête via l’expérience de la scène.

 L’explosion du cadre

Jann Gallois s’inscrit dans la lignée d’une famille de musiciens professionnels, interprètes de très haut niveau. Dans son enfance, la musique existe avant toute chose, la culture chorégraphique y est inexistante, la danse un art mineur sans aucun doute. Jann ne garde aucun souvenir d’un quelconque spectacle de danse.

Par déterminisme social, ses parents la destinent à une carrière d’instrumentiste dès l’âge de 5 ans. En vain, elle ne trouve pas son instrument. En 10 ans, elle doit chercher sa voie entre piano, violon, basson, cor. Cor ? Corps ? Petite, elle se souvient aimer faire rire ses proches avec son corps. Son physique est très éloignée de celui imagé d’une harpiste, ni même de la ballerine : petite et musclée, elle en prend conscience à l’adolescence. La pression parentale pour faire d’elle une musicienne professionnelle devient insoutenable, Jann frôle le burn out. BurnOut, c’est aussi le nom de baptême de sa compagnie.

La danse sera-t-elle un révélateur d’identité ?

2004 : elle fait du shopping aux Halles. Vous souvenez-vous de cette ambiance si particulière, dans un recoin du Forum, non loin de la piscine ? La musique d’abord diffusée sur des enceintes portatives, posées par terre. Des danseurs, bonnet, tenue de survêtement, grosses baskets, aux poses stylées, évoluent à même le sol froid et dur, parfois la tête au sol est posée sur un pull. Jann est très impressionnée par ces chorégraphies, elle n’imaginait pas qu’on puisse faire tout cela avec son corps. Elle est fascinée par l’exploit physique. Tout cela lui semble irréel. Un vent de liberté souffle, l’emporte loin du cadre institutionnel de sa formation de musicienne. Il lui semble que c’est à l’opposé de son vécu. C’est beaucoup plus fun, déjà en apparence la mode vestimentaire est attractive. Les valeurs d’échange sont très fortes : on s’enseigne les « steps » (« les pas », la chorégraphie) et on partage des « délires » (chacun invente des gestes, un enchaînement, sur une thématique commune, comme celui des jeux vidéo, par exemple le jeu de construction vidéo Tetris est une source d’inspiration « classique »).

Jann a 15 ans et elle veut faire pareil, elle doit s’entraîner. Comment trouver le temps quand on est une brillante lycéenne et qu’on ne veut pas décevoir ses parents ? Jann, la raisonnable, dépose un dossier au Lycée Racine à Paris en classe à horaires aménagés. Jann, la frondeuse, le fait sans le dire à ses parents et défend son dossier auprès du proviseur intrigué, plutôt habitué des petits rats qui visent l’école du ballet de l’Opéra ou le Conservatoire national. Jann a besoin de temps pour apprendre le hip hop et s’entraîner physiquement. Le hip hop n’est pas enseigné au lycée. Elle y’est pourtant acceptée, poursuit une scolarité brillante à dominante scientifique et rejoint seule chaque jour le Forum des Halles où elle fait ses classes de 14h à 20h.

Jann Gallois est autodidacte, sans modèle et sans soutien familial. Elle est sortie du cadre dans lequel elle se sentait clouée. Mais très vite, elle va s’en construire un autre dans la prolongation de cette expérience physique 100% hip hop.

 La conquête de la scène

Alors qu’elle est en fac de physique-chimie, Jann prépare les auditions chorégraphiques. Très vite, elle rencontre le succès en tant que danseuse hip hop. Elle est consciente de sa chance, elle danse pour plusieurs chorégraphes, au point qu’elle n’a pas toujours besoin de passer des auditions pour être choisie.

Quelles pièces ont marqué son parcours ?

Le chorégraphe Sébastien Lefrançois lui propose de reprendre le rôle principal dans un de ses succès Roméo et Juliette. Jann en bave, Sébastien ne lui fait pas de cadeau mais elle est reconnaissante. Elle fait son apprentissage de la scène et de l’art du spectacle. Elle est toute jeune mais elle aime déjà observer et apprendre, toujours apprendre. Elle est entourée de danseurs professionnels bien plus aguerris qu’elle. Elle mesure avec humilité qu’elle n’est qu’au début de sa formation technique. Mais déjà elle est repérée par les professionnels au Festival de Suresnes Cités-Danses, où se mêlent avec bonheur les genres et les danseurs hip hop et danse contemporaine. Le théâtre Jean Vilar est un premier ancrage, très important, pour Jann Gallois. Pas de hasard que nous allions à sa rencontre dans ce lieu qui l’a propulsée sur scène.

Dès qu’elle en a le temps, elle se forme à la danse contemporaine (chez Peter Goss) en même temps qu’elle se forme sur le tas en observant et en s’investissant si possible dans la création.

Jann Gallois vit l’explosion avec « Elles ». Elle est co-créatrice avec Sylvain Groud, ex-danseur de Preljocaj, chorégraphe contemporain, qui lui crée un solo dans une pièce collective intitulée « Elles ». Elle se sent enfin légitime comme interprète.

A l’inverse, dans la pièce Royaume-Uni de Preljocaj, elle n’est qu’interprète. Mais quelle chance d’assister au processus créatif, à l’écriture exigeante de cette grande signature artistique ! Jann continue d’absorber, de se nourrir de ces expériences successives.

Jann Gallois : « Si l’obstacle n’avait pas existé, je ne serai pas ce que je suis ».

Pour sa création « P=mg » (formule élémentaire de physique résumant l’attraction terrestre), elle imagine « un espace où la gravité serait décuplée ». C’est un premier succès avec 90 dates en tournée, qui lui donne de la visibilité. Dans son processus créatif, Jann aime se fixer un cadre pour innover dans le mouvement. Très tôt, elle prend conscience qu’elle s’est construite sous contrainte. « Si l’obstacle n’avait pas existé, je ne serai pas ce que je suis ». Voir un extrait-vidéo

Dans sa création suivante, en 2015, « Diagnostic », elle recherche à développer des états de corps en dissociant le mental et l’enveloppe corporelle. Le sujet est la schizophrénie. Malgré le nombre impressionnant de personnes affectées (estimation : un million) par cette maladie, le thème fait peur. Comment chorégraphier ce qui est une perte des repères physiques alors que le corps du danseur vise la maîtrise totale ? Voir un extrait-vidéo

DanseAujourdhui a choisi de vous emmener découvrir « Compact », la création actuelle, présentée en première au festival de Suresnes en janvier 2016 (représentation le dimanche 17 janvier, suivie sur place d’une rencontre que j’anime). « Compact » est un duo entre elle et Rafael Smadja.

Teaser « Compact » Jann Gallois | Cie BurnOut (Work in progess) from Jann Gallois | Cie BurnOut on Vimeo.

Jann Gallois se projette déjà dans une nouvelle création pour 5 danseurs sur scène, sans elle. Elle s’assumerait comme chorégraphe à part entière. Elle a déjà rédigé sa note d’intention et recherche des studios pour l’accueillir avec les danseurs durant les 10 semaines nécessaires au travail de création.

Catherine Zavodska, 17 décembre 2015

Réservez vos billets pour le spectacle Compact le dimanche 17 janvier, 15h. La rencontre avec Jann Gallois suivra dans le théâtre.

 

 

 

 

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