Lutz Förster, un oeillet pour Pina Bausch au Festival d’Avignon

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Ma naïveté de spectatrice me faisait accroire que la force des souvenirs est identique entre les artistes et leur public. Erreur, nous ne vivons pas les mêmes choses. Lutz Förster m’a ramené à une certaine réalité, celle des interprètes, bien éloignée du mythe que s’invente parfois le public.

Lutz Förster participa aux débuts de Pina Bausch au Festival d’Avignon

Il est l’actuel Directeur artistique du Tanztheater Wuppertal. Il a été recruté par Pina Bausch en 1975 pour le « Le Sacre du printemps » distingué comme « le grand type avec un grand nez ». Son choix de danser le Sacre est très pragmatique : à 21 ans, il était déjà trop vieux, considéré comme trop grand, la proposition de Pina lui donnait la chance de vivre comme danseur. Pina de son côté manquait d’hommes pour sa pièce. Première surprise, ce n’est pas le génie de Pina qui l’a foudroyé au premier abord.

Quels souvenirs a gardé Lutz Förster du Festival d’Avignon ? Avant de venir, il n’avait jamais entendu parler de cet événement. Il y ‘est venu avec Pina pour danser dans « 1980 – ein Stücke von Pina Bausch », première pièce jouée  en 1981, puis y’est revenu avec « Nelken » et « Wälzers » en 1983. On ne sait plus comment Pina y a été invitée. On se souvient de la place de l’Hotel de Ville couverte des tonnes de légumes et de fruits, déversées par des agriculteurs en colère. On se souvient d’un festival épuisant où travailler dans la sérénité est impossible. Lutz en semble encore agacé plus de 30 ans après.

Pina Bausch, Nelken, au Festival d’Avignon

Il y’a 35 ans, la notoriété de Pina Bausch gagnait du terrain. Lutz affirme que ce qui a contribué le plus à faire connaître Pina Bausch aux spectateurs français était plutôt le film de Chantal Akerman « Un jour, Pina m’a demandé » (1983), non pas leur présence au Festival.  « Nelken » a bouleversé car c’est une pièce « qui vise juste » affirme Lutz. Mais déjà le public ne réagissait plus par la violence. Une seule fois « Nelken »a été vécue comme un choc physique, c’était à Moscou en 1989. Les danseurs descendaient dans l’orchestre pour serrer dans leur bras les spectateurs, qui fondaient en larmes. Lutz fut touché.

Des créations avec Pina Bausch, Lutz a des centaines de souvenirs plus marquants qu’un parterre de 20 000 oeillets, trois fois plus qu’à l’ordinaire, ou qu’une scène en plein air sous un ciel d’été. « Nelken » est en soi un souvenir très important pour la compagnie, existant en trois versions, et fait partie des pièces transmises aux jeunes danseurs. Lutz admire encore le travail incroyable de Pina pour construire la pièce. Une anecdote, rapportée par Helena Pikon, c’est à Avignon que Dominique Mercy se fait mordre par les chiens, Pina a décidé après cela de les faire tenir en laisse.

Lutz Förster, The Man I Love, au Festival d’Avignon

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Lutz Förster-Nelken © Ulli Weiss

« Nelken », c’est une pièce intime pour Lutz, qui interprète « The Man I love » chantée par Sophie Tucker. C’était le morceau préféré de son ami, décédé prématurément. En souvenir, il avait appris en quelques jours à « chanter » les paroles en langage des signes et avait fait pleurer un groupe de sourds-muets gays. Il s’est promis de l’intégrer dans le prochain spectacle de Pina Bausch.

Enfin, Lutz se remémore son plus grand souvenir de la Cour d’Honneur du Palais des Papes : il fait nuit, les lumières sont éteintes, les oeillets sont gris. Il entre seul en scène pour prendre place au centre dans la pénombre face au public. Il attend sa chanson, programmée avec l’éclairage. La lumière fut, la Cour d’Honneur s’illumine en rose, un tonnerre d’applaudissements explose avant même qu’il commence. Et ce sera ainsi chaque soir et seulement à Avignon.

Compte-rendu de l’interview de Lutz Förster par Catherine Zavodska, Wuppertal, 14 juin 2015

Qui est Lutz Förster ? Consulter la biographie de l’artiste sur le site du Tanztheater Wuppertal

Image à la Une : Lutz Förster dans Nelken-The Man I love © Maarten Vanden Abeele

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