Nach se lance seule en scène au festival Premières Scènes Hip Hop de la maison Daniel Féry, après avoir été danseuse krump à ses débuts, puis interprète pour Heddy Maalem et Binthou Dembélé
J’ai eu envie d’en savoir plus en l’interviewant à chaud, à la sortie de la dernière répétition de son premier solo, après une semaine de résidence à la Maison Daniel Féry à Nanterre, le 18 novembre 2016. Elle est encore jeune, ses souvenirs émergent d’un passé proche, très à vif. Son discours est spontané, vivant.
Quand a eu lieu l’étincelle de la danse pour toi ?
La danse a toujours été présente comme un espace où j’avais la possibilité de m’assumer, de me sentir en harmonie avec moi, mon corps, ma famille. Adolescente, j’étais très effacée, pas sûre de moi, totalement déconnectée de mon corps, en surpoids même. Je n’étais pas bien avec moi, ni avec les autres. La danse, c’était dans ma chambre.
Comment t’es-tu sortie de cette adolescence difficile ?
Un peu perdue, à 18 ans, en 2007, je pars un an en Australie, très loin, après m’être rasée la tête. J’ai réalisé là-bas que j’avais de la valeur, que j’étais capable de me débrouiller seule, j’ai senti que j’étais appréciée et désirable, j’ai changé. L’Australie a révélé mon envie des autres.
Comment es-tu devenue danseuse krump ?
Un jour, à Lyon, place de l’Opéra, je découvre des danseurs urbains, je reconnais les poppers, les breakers… et sur l’aile gauche, je vois des krumpers ! J’avais vu trois fois au cinéma le film Rize de David Lachappelle à sa sortie (2005). J’y ai tout de suite vu du gospel. Ce film, c’était une grosse gifle. Je n’en revenais pas, c’est incroyable, 4 ans après, le krump, cet OVNI, était arrivé en France !
Donc, à Lyon, je vois les krumpers. Je vais voir les garçons. J’ai 21 ans, je suis la plus âgée. Je leur demande si je peux essayer. « C’est dur ! ». C’est la première chose que l’on me répond. Ils sont honnêtes les krumpers : « Je commence à t’apprendre, je veux bien te transmettre mais on n’aime pas les groupies. »
Il y’a un fonctionnement propre au krump : hiérarchie, cérémonie, rituels. Ils ont commencé à m’apprendre. J’étais fascinée et pleine d’appréhension à l’idée d’entrer dans une communauté. Comment me réaliser à travers le regard des autres ?
Voir The Art of krump par TightEyes, un des fondateurs
Alors, qu’as-tu fait, Nach ?
Je rentre là-dedans et là, c’est la grosse révélation, ils me donnent des bases, des codes (stomp, arm swing etc.). Pendant 3 mois, je dois répéter le même enchainement de mouvements. Tu ne sens rien d’abord, puis j’ai commencé à sentir les choses. C’est à moi de raconter une histoire dans mon mouvement, une fois que j’avais ça, c’était parti.
Qu’est-ce que le krump a changé dans ta vie ?
- J’ai modifié mon mode de vie. J’ai arrêté le violoncelle par exemple.
- Je n’étais plus disponible pour mes amis…l’aventure krump, c’était tous les jours à Lyon. Les premiers événements krump (battles et sessions) se passaient dans des lieux improbables, dans la rue, dans les parkings.
- Le krump m’a appris à ne pas douter. Dans les battles krump, il faut développer un mental d’acier, c’est une nécessité, il faut aller se chercher, si tu doutes, tu perds pied.
- Quand je danse, c’est un des rares moments où je n’ai plus peur. Je suis connectée avec moi et avec les autres, tout me paraît essentiel, pertinent, le mouvement, le regard…
Puis tu reviens à Paris ?
Oui, en 2010, je prends la décision de revenir à Paris. Grâce à des amis krumpers lyonnais, je découvre la communauté krump dans les tunnels du métro à La Défense (sortie La Coupole), à la salle d’animation de Châtelet- Les Halles, à l’Espace Louis Lumière Porte de Montreuil et sur le toit du Décathlon de Montreuil, un lieu qui existe toujours etc.
Au Festival Premières Scènes, tu vas nous montrer ton premier projet de spectacle. Ce sera du krump ?
Dès le début je me suis sentie un peu à part dans le krump. J’avais une danse moins technique, moins propre que d’autres danseuses. Mais des danseurs m’ont proposé de rentrer dans leur fam (se prononce fèm), c’est-à-dire dans leur famille. La fam est dirigée par le chef de famille. J’ai eu deux expériences de fam, soldées par deux échecs (avec Big Wecker et avec Grichka). C’est ma grande déception et ma grande tristesse. J’ai été révélée par cette communauté krump mais je me suis aperçue qu’il y’a des choses qui n’allaient pas, qui me blessaient, jusqu’à la rupture il y’a 3 ans, quand je réalisais que j’aimais les autres mais que les choses n’étaient pas si simples. Il y’a ton désir, le désir des autres et le désir des autres pour toi.
Nach, c’est ton prénom de krumpeuse ?
Dans le krump, il y a des personnages. Les krumpers se créent des noms en correspondance avec des personnages-types. Moi, j’ai choisi Nach, je fais exception car c’est le prénom que l’on me donnait petite. Dès le début, je n’ai pas pris de blase (nom)…je n’avais pas envie d’être un autre personnage, de prendre le nom de quelqu’un d’autre. Je suis déjà assez compliquée. Je ne jouais pas d’autre personnage que moi-même. Par exemple Jigsaw, c’est un psychopathe pervers dans le film d’horreur Saw, mais c’est aussi le nom d’un grand danseur que j’adore qui travaille aussi avec Heddy Maalem.
Peux-tu nous parler de ton travail avec Heddy Maalem ?
Au moment où je commençais à prendre de la distance avec le krump, j’ai eu une ouverture énorme grâce à Jigsaw, qui m’a poussée à me présenter à l’audition pour Eloge du Puissant Royaume fin 2012. Travailler avec Heddy nous a marqué parce qu’il nous a fait danser sur de la musique classique, de la musique baroque, sur du blues, sur des musiques traditionnelles du Japon et d’ailleurs, même sans musique, improviser ensemble alors que le krump est une danse solitaire adressée à tout un groupe. C’était déstabilisant, à la fois une perte de repères, mais cela a été aussi un plaisir incroyable.
Voir un extrait d’Eloge du puissant royaume
Audition 2012 des danseurs krump (Nach est visible à la 3ème minute) pour Eloge du Puissant Royaume
Qu’as-tu appris avec Heddy Maalem ?
Heddy disait que j’avais des mains mortes, des mains de corbeaux, il s’est battu avec moi. Quand j’ai eu l’éveil des mains, c’était quelque chose ! Il m’a appris que tu peux concentrer toute ton énergie dans les mains et tenir une audience au bout d’un doigt.
Heddy Maalem a révélé la sensualité et la féminité dans ma danse, qui n’étaient pas du tout assumées. Cela fait 4 ans qu’on travaille ensemble et lui l’a vu dans ma danse, avant que je mette le doigt dessus. J’assume maintenant de montrer mon corps, j’aime cela en fait.
Heddy Maalem m’a écrit un solo de 20 minutes qui tourne encore : Nigra sum, pulchra es, sur la musique Le Cantique des cantiques de Rodolf Burger.
Comment t’es venue l’envie, Nach, de chorégraphier ton propre solo, Cellule ?
J’ai travaillé comme interprète avec Bintou Dembélé, qui est très engagée dans sa démarche artistique. Cela m’a fait réfléchir. Le travail avec Bintou m’a questionné sur mon propos et comment je le montre sur le plateau. J’ai ressenti une envie forte d’être auteur à mon tour. Besoin de dire que cela vient de moi, que c’est ma vision de moi et du krump. C’est un challenge et une nécessité. Je suis obligée de me poser des questions sur ce que je fais, ce que je suis, sur mes désirs. Cette nécessité de créer elle est née de pleins de choses que j’ai vues et lues.
Captation Strates 2016 aux Métallos from Véronique Felenbok on Vimeo.
Battle hip hop, session, spectacle au plateau, quelles sont les différences pour toi ?
Mon amour du battle vient de l’effet que cela a eu sur mon mental : l’appréhension, la pression, l’excitation, l’extase. Tu as très peu de temps pour montrer ton personnage. Tu as deux minutes pour faire monter la pression dans le public et raconter ton histoire. J’ai pris un plaisir incroyable à me sentir comme une walkyrie et à être célébrée dans le cercle.
La session, c’est d’autres enjeux, même si c’est aussi intense. Je vais vous raconter comment je suis aujourd’hui. Tu le dis, dans un rituel, chacun à son tour, les amis t’écoutent en rond avec bienveillance, les gens t’encouragent. C’est plus léger.
Sur le plateau, l’enjeu c’est de retrouver des états de corps et d’esprit que tu aimes. J’ai voulu le début de mon solo Cellule très lent, je veux prendre le temps, accepter le silence. Le krump, je continue de ressentir cette énergie intérieure mais je sens que cela s’arrête à un moment. Au début je refusais de sentir cet arrêt et je continuais à broder, mais cela devenait bavard. Il y’a quelque chose de difficile à assumer dans le silence. Les 5 premières minutes du solo seront tout en présence, en quasi immobilité. Dans mon corps, je veux être fragile et forte en même temps. Mon propos c’est la communication avec ceux qui seront là pour me regarder.
Tournée de Nach en interprète :
Éloge du puissant royaume – Cie Heddy Maalem
Création Biennale de Danse du Val-de-Marne 2013 à l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson
28 février 2017 : Le Carré Magique, Lannion
15 & 16 mars 2017 : Maison de la Danse, Lyon
Création 2016
29 juillet 2016 : Bolzano Danza (Italie)
23, 24, 25 nov. 2016 : Théâtre National de Toulouse en coréalisation avec le CDC Toulouse-Midi-Pyrénées
« La réflexion autour de la communauté, les racines, la mythologie et leur présence aujourd’hui est palpable chez Heddy Maalem, dans son grandiose Éloge du puissant royaume pour six krumpeurs français. Le défi était énorme. Créer une pièce de groupe à partir du Krump, cette approche de la danse aussi révoltée qu’individuelle, où les explosions d’énergie cinétique se font si rapides qu’elles défient l’œil humain! Le résultat est magistral et de pure beauté. Sans jamais trahir leurs racines et leur énergie, Maalem amène ces danseurs vers une épure graphique et un degré d’abstraction impressionnants. Présenter les krumpeurs, qui dansent pour ce qu’ils sont et pas pour devenir professionnels, à la Maison des pratiques artistiques amateurs, est un choix cohérent. »
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