«De la rue au studio, du studio au Club et du Club à la scène, voilà mon parcours.»
Une stature imposante : 1m 88 de puissance faussement nonchalante, tout en bras et jambes, l’indispensable casquette vissée sur le crâne. Ousmane Baba Sy parle avec modestie, affabilité et sans fioritures, synthétisant ainsi un parcours jalonné de rencontres, de projets et de succès.
A ce jour, Ousmane Baba Sy fait partie des crew[1]des Wanted Posse et des Serial Stepperz. Il a fondé le crew 100% féminin Paradox-Sal, avec lequel il en est à son quatrième spectacle, Queen Blood à La Villette du 28 au 30 mars 2019, et All4house, une entité aussi conceptuelle que productive à travers laquelle il déploie toutes sortes d’activités liées à la House sur le plan international. Enfin, Il fait partie du collectif FAIR(E) nommé pour diriger le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis janvier 2019.
Queen Blood le spectacle/En savoir +
L’environnement, l’air du temps et les rencontres d’Ousmane Baba Sy
Ousmane Baba Sy a grandi à Antony (92). Enfant, il se décrit plutôt footeux, suivant la musique et la danse « en mode de loin». Il dit« de loin » mais en réalité il est tombé dedans tout petit. C’est qu’à l’époque il se voit plutôt comme un observateur et dans son milieu, la musique et la danse sont de toutes les fêtes, y compris religieuses, et de toutes les réunions familiales. Il évoque ses parents et notamment sa mère, son cousin Solo, membre du Paris City Breakers (PCB). Ce sont ses premiers modèles. Il y a aussi son frère, les copains de quartier, la télévision. En fait, il a toujours baigné dedans.
Les années 80 marquent l’explosion du Hip Hop en France grâce à H.I.P.H.O.P, une émission aussi brève que mythique, entièrement consacrée au courant Hip Hop et au Breakdance, animée par Sidney, premier animateur télévisuel français noir, également compositeur, DJ et danseur. Nous sommes en 1984, Ousmane a cinq ans et voit défiler sur le plateau de Sidney des stars comme Madonna, Sugarhill Gang, Afrika Bambaataa, et des groupes français comme les PCB (Paris City Breakers) et autres figures du rap hexagonal. L’émission a un impact culturel extraordinaire sur toute une génération. En France, on est adepte du rythme, des fringues. Pour ces gamins, il y a là une émulation incroyable offerte via des danseurs métis, latino ou noirs auxquels ils peuvent s’identifier. Michael Jackson, les Nicholas Brothers, Amada Bahassanne ( Badson, fondateur des Wanted Posse) sont d’autres modèles et initiateurs.
Transmission, continuité et innovation
Dans les années 90, on danse dans la rue, on se rencontre et on échange les pas, on est adopté, épaulé : grand frère – petit frère, c’est une affaire de quartier, de famille, de transmission et de mode d’expression plutôt que de formation : c’est comme cela qu’Ousmane Baba Sy a appris à danser. Plus que les gestes, il y a l’idée d’une appartenance, voire d’un héritage.
En 1995, Ousmane rejoint la deuxième génération des Wanted Posse et prend le pseudonyme de Babson .. Badson, Hagson, Yugson, Mamson, Babson… Une manière d’affirmer la filiation et la fraternité. Il évoque « Aux USA, le Hip Hop et la House étaient deux courants distincts avec leurs codes, leur valeurs, et leurs boîtes de nuit. Dans les années 90, le Hip Hop a été pris en otage par le gangsta rap dont les thèmes et les valeurs (violence, machisme, racisme, fric etc… ) ont fait fuir une partie de leurs adeptes. Ceux-ci ont alors rejoint les Clubs de House qui rassemblaient des communautés marginales et prônaient des valeurs progressistes. Ces danseurs ont adapté les mouvements du Hip Hop à la musique House».
C’est cet esprit House que l’on retrouve chez les Wanted Posse, qui, contrairement aux crews qui restent généralement attachés à un style, se distinguent par un style englobant différentes gestuelles et influences musicales mêlant sans complexes le Hip Hop, le Break et la House pour donner le Hip Hop New Style. Le groupe s’ouvre à d’autres expériences, projets de comédies musicales ou collaborations comme Macadam, Macadam en 1999 avec la chorégraphe Blanca Li. Leur notoriété est définitivement assise avec la victoire au Battle of the Year (BOTY) 2001 dont les Wanted Posse sortent Champion du monde. Ils moissonnent les victoires durant la décennie 2000, au BOTY comme à Juste Debout, autre grande manifestation internationale en Hip Hop New Style et House.
En 2008, Babson fonde Serial Stepperz avec Yugson, son partenaire de Wanted Posse, avec pour objectif d’amener l’esprit House sur scène qu’il s’agisse de battles ou de spectacles.
Identité et reconnaissance
Le chorégraphe rend hommage aux influences africaines dont la House américaine est imprégnée et soutient l’émergence des styles de musiques et danse contemporaines extrêmement prolifiques des pays du continent africain. Ambassadeur de la French Touch il est également celui de l’Afro House Spirit, un mouvement qu’il enrichit constamment, notamment avec le festival All4House Afrika, organisé pour la première fois en 2016 et dont il prépare la 5ème édition. L’Afro House Spirit est l’expression de l’évolution des danses traditionnelles africaines en lien avec la musique et gestuelle House et Hip Hop. C’est sa touche à lui, sa marque de fabrique, dont les danseuses de Paradox-Sal sont les ambassadrices.
La House est un état d’esprit
Ousmane Baba Sy dit «Tout part de la musique». Pas n’importe quelle musique doit-on préciser. Pour Babson, c’est la House. Pas par sectarisme mais parce que selon lui cette musique a la capacité de rassembler toutes les danses : popping, locking, hype, top rock, new style, waacking, dancehall, contemporain, salsa, capoera, claquettes, danses traditionnelles d’Afrique, etc etc… «One Music for every Dance, one House for every Culture» est sa devise, celle qu’il accole à All4House. Cette phrase résume un état d’esprit qu’il a envie de transmettre. Il parle de philosophie et balaie l’idée de militantisme quand on évoque Paradox-Sal, son crew 100% féminin, en affirmant «Les gens sont toujours à la recherche d’un message. Il n’y a pas de message, il y a la danse». Tout simplement. Ousmane Baba Sy travaille au delà des clichés ou des intentions politiquement correctes.
La House est un espace créatif, selon Ousmane Baba Sy
Comme chorégraphe, sa volonté est d’amener l’esprit du clubbing sur scène, assumant les codes androgynes de la gestuelle House et l’ambiance des boîtes de nuit. Pour cela il veut un DJ sur scène, Sam One, en l’occurence, compagnon et ambassadeur de All4House sur des pièces comme Clubbing ou Bounce en 2015 ou Basic en 2016. Il dit que la House est son espace de travail et la scène est l’endroit où il synthétise ses réflexions. Les titres de ses pièces traduisent cette continuité : Fighting Spirit, Clubbing, Bounce, Queen Blood...
La House dance est une langue commune
Ousmane raconte sa fascination pour la notion de corps de ballet et à quel point cela inspire son travail. Amener la synchronicité et l’unicité du ballet sur de la musique House c’est fusionner la glace et le feu. Le défi le passionne. Son but : obtenir l’effet d’un corps de ballet tout en exaltant les singularités de chacune des danseuses. Les danseuses de Paradox-Sal ont des parcours très différents. Certaines ont appris la House dance avec Baba Sy, d’autres sont arrivées avec une gestuelle issue d’autres mouvances (Hip Hop, Break, Soul, danses africaines …) et nombreuses développent également un travail hors du groupe. Au sein de Paradox-Sal tous travaillent sur des improvisations, du free-style sur des ambiance musicales (nappes) pour trouver des gestes communs. Ousmane explique « Nous nous rencontrons avec des backgrounds différents mais nous pouvons nous comprendre et communiquer à travers la musique et la danse House : c’est notre langue commune »
My House is your House…
Ne pas chercher de messages mais trouver des valeurs. Celles véhiculées par la House dès l’origine: transcendance des genres, épanouissement des individualités, sans oublier le plaisir associé au clubbing . A ses danseuses il conseille « Inspire-toi de tout le monde pour ne ressembler à personne ». On dit de la danse qu’elle est une école de vie… Et s’il s’agissait d’une école de philosophie ?
©Ildiko Dao pour DanseAujourdhui, 5 février 2019
[1] Un crew est une équipe de danseurs et un battle est un défi entre danseurs, souvent pratiqué en équipe
Voir le site de All4House
0 Commentaires
Répondre
Vous devez être connecté pour ajouter un commentaire.