Pina Bausch – Marges et territoires chorégraphiques

Livres sur la danse : lire ou avoir ?

Envie de lire des livres sur la danse ? ou plutôt d’en posséder ? Quand voir des spectacles de danse ne relève pas d’une activité professionnelle, ressentons-nous vraiment le besoin de lire des textes  sur les spectacles de danse ou les chorégraphes ? Comme les livres d’art, il peut nous arriver d’en acheter et de constater lors d’un rangement de fond que nous ne l’avons jamais ouvert depuis. Acquérir un livre est une manière d’immortaliser le souvenir, pas nécessairement de le garder vivant. Dans mon groupe de spectateurs, je constate plus souvent l’envie d’écrire après un spectacle que l’envie de lire des critiques de spectacles ou un livre. C’est pourquoi d’ailleurs j’ai créé un atelier d’écriture sur la danse en 2018 et non pas de lecture.

Comment ce livre est arrivé jusqu’à moi ? Grâce à la visibilité de DanseAujourdhui sur la toile, Hélène Camarade, Professeure des universités à Bordeaux-Montaigne, m’a contacté fin 2017  pour me le proposer. Le livre a trôné plusieurs semaines sur la table de mon salon. Vient le moment où il faut décider où le ranger dans sa bibliothèque mais la lecture de la préface, très prometteuse sur le contenu à venir, m’empêchait de trouver un lieu définitif. Ayant planifié deux jours à Wuppertal voir les 7 Péchés capitaux de Pina Bausch, je pris le livre pour lui faire un sort dans le train et me soulager de la promesse de le lire !

« Marges et territoires chorégraphiques chez Pina Bausch », pluralité de regards

Ce livre est une compilation d’articles d’auteurs différents intervenus lors d’un colloque à l’Université Bordeaux-Montaigne en 2012. Le titre du livre « Marges et territoires chorégraphiques chez Pina Bausch » est le fil rouge qui relie les recherches et conclusions des contributeurs. Et c’est le point fort de cet ouvrage : chacun s’est concentré sur les mêmes questions. La pluralité des regards enrichit notre compréhension des spectacles et notre analyse.

Je ne souhaite pas faire un résumé de ma lecture mais vous encourager à vous procurer l’ouvrage et à le lire en tout ou parties.

Pourquoi Pina Bausch est-elle qualifiée de génie par les spectateurs et les danseurs ?

L’intérêt du livre est de donner la parole à des expertises différentes : philosophe, anthropologue, danseur, interprète etc. En contrepoint, le style d’un article à l’autre diffère et demande de la souplesse. Mais vous n’êtes pas obligé de le lire comme moi d’une traite. La diversité des approches explique aussi que certains articles m’ont intéressé, d’autres pas.

 Comment Pina Bausch a-t-elle révolutionné le spectacle vivant ?

Dans les propos liminaires, d’une grande clarté, Hélène Camarade décrit la révolution Pina Bausch :

• La création d’un nouveau territoire
• Un art cosmopolite et multiculturel
• L’exploration des frontières de l’humain.

Hélène Camarade rappelle que Pina Bausch pendant 40 ans en refusant de commenter ses pièces rejetait les interprétations univoques et cherchait à favoriser l’imaginaire de chaque spectateurs. Le colloque, dont l’ouvrage est le résultat enrichi, invitait des intervenants de diverses disciplines pour faire dialoguer les disciplines. De ce point de vue, c’est une réussite : l’ouvrage nous permet de prendre du recul sur les œuvres de Pina qui nous laissent bien souvent sous le choc d’émotions fortes et de voir ce qui s’est joué entre la scène et nous, spectateurs embarqués dans l’univers d’une des plus grands artistes de notre temps.

Voici les articles que je vous recommande spécialement de lire, outre la brillante préface :

• Norbert Servos «Danser par nécessité. Le Tanztheater de Pina Bausch »

L’intérêt de ce texte tient à la position de l’auteur. Il semble qu’il ait découvert les spectacles de Pina Bausch dès les débuts à Wuppertal même. Il était alors critique pour une revue de danse. La révolution sur scène et dans le public s’est déroulée sous ses yeux. Il a souvent interviewé Pina.

• Alain Mons « Vertiges chorégraphiques et variations atmosphériques. Résonances à partir de Pina Bausch »

Passionnant article, une démonstration limpide, une comparaison brillante de Pina avec des artistes aussi divers qu’Anne Teresa de Keersmaeker, Sasha Waltz, Koen Augustijnen, Meg Stuart…Son passage sur les changements météorologiques a pris tout son sens le soir même lorsque j’assistais à une représentation des 7 Péchés capitaux de Pina Bausch à Wuppertal. Et dans la conclusion, cette phrase qui parle intimement à la spectatrice passionnée de danse que je suis : « C’est ainsi que la sensation arrive (…) elle se constitue comme une échappée vitale dépassant toutes les catégories de pensée ».

• Jacques Patarozzi « Danser Le Sacre du printemps. Souvenirs du travail avec Pina Bausch »

Danseur des débuts, parle de son travail avec Pina. Le corps est le lâcher-prise de la pensée. C’est un témoignage d’autant plus riche qu’il a eu ensuite une carrière de chorégraphe, puis de directeur de théâtre. Il a dansé dès le premier Sacre du printemps de Pina Bausch et nous pouvons encore le voir dans le DVD de l’opérette Renate quitte le pays.

• Suzanne Böhmisch « La bascule de l’amour – lire Pina Bausch avec Ingeborg Bachmann »

Germaniste et fait une analyse comparative des textes d’une écrivaine autrichienne avec les pièces de Pina pour parler de la limite entre bonheur conjugal et aliénation, des lieux d’affrontement dans un couple. Je retiens surtout cette citation d’Heiner Müller « Dans le théâtre de Pina Bausch, l’image est une épine dans l’œil ».

• Jo-Ann Endicott « Working with Menschen »

  

Entretien avec la danseuse de toujours Jo-Ann Endicott, dont je vous recommande vivement le premier ouvrage autobiographique « Je suis une femme respectable » mais je suis plus réservée sur la lecture du second, « pina bausch.de » dont le ton est trop amer, proche parfois du règlement de compte personnel. Ces deux ouvrages ont été édités par L’Arche.

• Brigitte Gauthier « Pina Bauch, tabou et totem »

Le style est clair et concis. Les nombreux exemples pris dans les pièces de Pina Bausch et d’autres grands artistes nous font partager brillamment son propos. Lecture vivement recommandée. La citation que je retiens : « Construire l’ensemble d’une chorégraphie sur la scène de l’inconscient est un exploit ».

• Pierre Katuszewski « Codes et rituels : le Tanztheater comme théâtre du jeu »

Cette analyse est un examen des rituels créés par le Tanztheater et Pina Bausch pour inclure le spectateur dans le moment. Pour moi qui suis affligée par la difficulté que vivent les équipes des théâtres à attirer les spectateurs, je considère ce texte comme l’amorce d’une réflexion sur le caractère vivant de la sortie au théâtre et peut répondre à la question du comment faire (re)venir les gens dans les salles de spectacle ?

• Sieghild Jensen-Roth « Doublure et réversibilité dans l’oeuvre dansée et filmique de Pina Bausch »

  

L’auteur mène notamment une réflexion approfondie, passionnante, sur la robe dans les spectacles de Pina Bausch.

Pour parler de l’art de Pina, citation pertinente de Paul Klee  « Dans l’expressionnisme, il peut s’écouler des années entre réception et restitution productive ; des fragments d’impressions diverses peuvent être redonnées dans des combinaisons nouvelles ». L’expressionnisme est défini ici comme l’art de révéler les émotions profondes au-delà des conventions, ce qu’exprime le Tanztheater – Pina Bausch.

• Claire Kaiser « Le film Pina de Wim Wenders ou l’omniprésence dans l’absence »

  

C’est une analyse remarquable par une spécialiste du cinéma allemand des procédés cinématographiques de Wim Wenders pour délivrer un message. Cela montre parfaitement comment la forme fusionne avec le fond. Lisez-le si vous avez vu le film Pina, qui est en soi une œuvre d’art, avis que je partage avec l’auteure de l’article !

D’autres articles sont réunis dans cet ouvrage mais je préfère ne pas en parler ici, soit qu’ils m’aient ennuyé, soit qu’ils m’étaient incompréhensibles ou incohérents. Et l’un d’entre eux a même suscité ma colère. Mais ceux-ci ne doivent pas vous empêcher de découvrir cet ouvrage très intéressant par son sujet et son approche multidisciplinaires. Je recommande vraiment la lecture de tous les articles cités plus haut.

C’était un bonheur en lisant « Marges et territoires chorégraphiques chez Pina Bausch » de me souvenir des scènes inoubliables et de partager avec les auteurs de l’ouvrage ces moments d’émotions fortes vécues au Théâtre de la Ville ou à l’Opernhaus de Wuppertal.

Catherine Zavodska, TGV Paris-Cologne, janvier 2018

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