Raimund Hoghe – Un regard, une posture – portrait de chorégraphe

Portrait Raimund Hoghe © Laurent Paillier

« J’ai été journaliste, puis dramaturge et maintenant je suis danseur et chorégraphe « [1]

Enfant, Raimund Hoghe a rêvé d’être danseur tout en n’y croyant pas. Il y est pourtant arrivé, par une voie qu’il n’aurait pas imaginée.

Journaliste au Zeit, Raimund Hoghe réalisait des portraits de personnalités comme de gens ordinaires. En 1980, il devient le dramaturge de Pina Bausch, une collaboration qui durera 10 ans. Sa carrière de chorégraphe commence en 1989  et en 1994 et il monte sur scène avec son premier solo « Meinwärts » que l’on peut traduire par « Vers moi-même ». Depuis 1992, il a pour collaborateur Luca Giacomo Schulte et s’est construit une famille de danseurs que l’on retrouve au fil des pièces.

 

Jeter le corps dans la bataille: le corps politique et rebelle

Raimund Hogue s’exprime d’une voix douce et comme toujours posée. Son regard mêle la candeur et le défi, la droiture et l’insondable. Dans « Raimund Hoghe: Der Buckel » il évoque son  enfance. Discrimination, humiliations, des situations qui l’ont conduit à se faire le héraut de ceux que l’Histoire ou la vie a tourmenté et sacrifié[2]. Corps étendard, corps caisse de résonnance, si aucune de ses pièces n’est un autoportrait toutes reflètent quelque chose de lui.

Raimund arpente de sa frêle silhouette les plateaux, droit comme un petit soldat, pouvant se transformer en diva ou en cygne blessé pour les besoins du combat. Monter sur scène  c’est  » jeter son corps dans la bataille  » selon les mots de Pasolini. Monter sur scène c’est prendre position contre les normes, contre les conventions ou les discriminations quelles qu’elles soient. Une posture qui oblige le spectateur à se questionner sur la beauté, la différence, ce qui est montrable ou pas et sur la vulnérabilité.

 

Ecrire avec des mots et des corps

Des mots (ceux des textes qu’il lit et des chansons qu’il choisies) aux corps: raconter des histoires, parler de l’humanité voilà ce que fait Hoghe inlassablement pièces après pièces. La tragédie et la comédie: rire, chanter, aimer et mourir… Tout ce qui arrive dans la vie.

« Pendant des années j’ai écrit avec des mots, le corps était invisible derrière les mots. Maintenant j’écris avec les corps: le mien et ceux des autres danseurs, la seule différence est que le corps de l’auteur est visible sur scène et fait partie du texte… Les corps racontent des histoires. Quand j’ai commencé mes premières pièces chorégraphiques je voulais dire avec le corps ce que je ne pouvais dire avec les mots. »[3].

 

La musique, source d’inspiration

Raimund Hoghe aime intensément la musique. Source première d’inspiration, il dit d’elle qu’il faut la suivre, qu’elle indique les mouvements, la dramaturgie, et que tout en découle naturellement, lui même n’étant là que pour organiser les conditions pour que quelque chose se passe.

La musique révèle le langage corporel de chacun de ses interprètes. Il met un morceau et observe, à la recherche d’une émotion originelle. Pour cela il utilise indifféremment : chansons populaires, opéras, classiques galvaudés (Boléro de Ravel, tubes italiens …)

Plusieurs pièces sont ainsi des portrait dansés:  » Songs for Takashi », « Musiques et mots pour Emmanuel », Quartet », ou « Canzone per Ornella »[4].

 

 La Beauté

Celle de la musique avant tout, à laquelle Raimund Hoghe est extrêmement sensible. Celle des interprètes et des matériaux qu’il utilise sur scène. Beauté extérieure, il adore le glamour des stars hollywoodiennes des années 30-50, et beauté intérieure : force et vulnérabilité, humanité, talent. Beauté cachée, beauté hors-normes, l’amour révèle la beauté, comme la musique.

 

Aller à l’essentiel

Raimund Hoghe citece dicton indien « Regarde quand il n’y a rien à voir et écoute quand il n’y a rien à entendre »[5]pour expliquer ce soin mis à se débarrasser de tout superflu dans les accessoires, dans la dramaturgie ou la chorégraphie. Ce souci aboutit à une esthétique du vide très contemporaine qui pourrait passer pour de la sophistication. L’esthétique japonaise en général, celle du Butô et de Kazuo Ohno en particulier, lui sert de référence.

Donner à voir et à entendre, sans information excessive pour une meilleure qualité de perception. Hoghe évoque le jeu des enfants, cette capacité à jouer pour et en eux-mêmes, une qualité qu’il cherche à retrouver avec ses interprètes.  La virtuosité ne l’intéresse pas, il poursuit l’effet, l’émotion, et pour lui, un tout petit geste peut déclencher une grande émotion. C’est ainsi qu’il contraint parfois le spectateur à se concentrer sur des actions dont la lenteur s’apparente à du rituel.

 

Biographie personnelle et collective

Hoghe s’intéresse aux liens entre les deux, comment chacun peut se retrouver dans la mémoire et la culture collective. Ainsi la solitude et la vulnérabilité sont des expériences partagées qui permettent à tout un chacun de se projeter dans Judy Garland ou Maria Callas ainsi que de « trouver une part de soi dans l’étranger ».Les chansons d’amour, les joies et les peines de coeur, les histoires tragiques parlent à tous.

 

Ce que les gens font pour être aimé

« Avec Pina,  » dit Hoghe » nous ne parlions que de cela, de ce que les gens font pour être aimé ». Aimer et être aimer. Hoghe continue à ne parler que de cela : à travers les pièces qu’il dédie à ses interprètes ou aux personnalités auxquelles qui il rend hommage. Monter sur scène, transformer sa vulnérabilité en force, c’est le chemin qu’il a trouvé, faisant fi des frontières pour être aimé.

 

Ildiko Dao, 12 juin 2018, pour DanseAujourdhui

Contact : ildiko@lamuniere.ch

Crédits photo © Laurent Paillier (série Portrait-Posture pour DanseAujourdhui)

Visiter le site officiel de Raimund Hoghe

 

Raimund Hoghe au festival d’Avignon 2018

Notes :

[1]carte blanche à Raimund Hoghe , « la jeunesse est dans la tête » Square, , Marie Thérèse Allier , Arte 2016 , youtube.

[2] »Le chemin resserré est trop étroit pour moi » Raimund Hoghe dans Tanz,  Jahrbuch, 2016

[3]: Joseph Schmidt, ténor juif  (Meinwärts), Judy Garland, les deux enfants guinéens retrouvés mort de froid dans la soute de l’avion qui les amenait en Europe  (Lettere amoroso) ou Aylan, petit enfant syrien découvert noyé sur les côtes turques en septembre 2015 (La Valse).

[4]  « Writing with words and bodies » article de Raimund Hoghe, 2012

[5]  « Writing with words and bodies » article de Raimund Hoghe, 2012

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