A la recherche du paradis perdu
Le titre Kreatur de la dernière création de la chorégraphe allemande Sasha Waltz peut évoquer des êtres qui ne soient ni animal, ni humain. Après avoir vu la pièce au Festival d’Avignon 2018, il me semble que les 14 danseurs sont comme les créatures de Dieu errant sur terre après avoir été éjectées de l’Eden.
Le Festival d’Avignon est pour moi depuis 5 ans un moment formidable de découvertes. Le festival révèle de jeunes talents, particulièrement en théâtre (FC Bergman, Thomas Jolly, Julien Gosselin, Chloé Dabert…) et des chorégraphes renommés dont les occasions de voir le travail sont plutôt rares car coupés des circuits traditionnels de tournée (Raymond Hoghe, Ali Chahrour…). C’est le cas de Sasha Waltz dont je connais très bien le nom et la notoriété sans avoir jamais rien vu d’elle à Paris (son Roméo et Juliette par le Ballet de l’Opéra de Paris, programmé en mai 2018, a été interrompu à cause d’un grave problème technique).
Cette nouvelle création, Kreatur, de Sasha Waltz m’a impressionné par les images étranges qu’elle fait naître.
Si la chorégraphe use des codes traditionnels de la fabrique de spectacles, elle réussit à créer des images nouvelles, qui permettent au spectateur à renouveler son imaginaire. Kreatur est un nouveau monde, dont on ne sait à quelle période le rattacher, bien que le discours de Sasha Waltz l’ancre dans le présent.
Il m’a semblé reconnaître certaines références de notre culture occidentale pour évoquer une humanité naissante : le Faune de Nijinsky et Narcisse. Certaines images m’ont évoqué les peintures de Jérôme Bosch…La musique de Gainsbourg, « Je t’aime moi non plus », accompagne une scène d’amour innocent et idyllique, qui a fait tomber dans la salle toutes les tensions générées par les scènes précédentes. Une scène parlée m’évoque les balbutiements, la naissance d’une langue qui se cherche, dont les mots connus, assemblés, signifie autre chose que ce que l’on entend.
A lire la biographie de Sasha Waltz, on apprend qu’elle a fondé sa compagnie en 1993 et avait fait de l’opéra chorégraphique une spécialité depuis 15 ans. Avez Kreatur, elle dit vouloir se renouveler, mais son savoir-faire, elle ne l’oublie pas. Kreatur est un spectacle d’une grande cohérence et d’une facture impeccable.
Tout d’abord, Sasha Waltz recherche les collaborations interdisciplinaires depuis le départ.
Il y’a 25 ans, elle baptisait sa compagnie « Sasha Waltz and guests » (SW et ses invités) et cela continue de faire sens pour elle. La création de Kreatur s’est faite dès le début avec des spécialistes dans leur domaine : la styliste Iris van Herpen pour les costumes, Urs Schönebaum à la lumière, Soundwalk Collective pour la bande-son originale. En lisant les biographies, ils ont tous travaillé avec d’autres artistes renommés dans le spectacle vivant. L’ensemble, il faut le dire, est tellement beau parfois que j’en étais presque gênée. Quand tout est trop parfait, j’ai tendance à être méfiante car on y perd le propos. Le costume qui m’a évoqué la carapace de l’oursin, par exemple, est tellement fascinant qu’on ne sait plus ce qu’on voit. La manipulation des miroirs souples de même. C’est en prenant du recul, après la pièce, que je peux admettre que tout cela a bien un sens. Et c’est la cohérence de la pièce qui en fait sa beauté.
La chorégraphie a proprement parlé est peut-être ce qui est le moins impressionnant tout en étant nouvelle pour moi. Les compositions, les solos, les duos, trios, ou les ensembles, m’ont paru classiques mais les tableaux qui en résultent créent de nouvelles images assez surprenantes.
La construction des différentes parties a une logique, qui se déploie sans hésitation. Chaque partie est rendue bien distincte par la musique, les costumes, la chorégraphie, la lumière. Sasha Waltz donne l’impression de tout maîtriser parfaitement. C’est en ce sens que je qualifie son savoir-faire de solide.
J’ai beaucoup aimé la présence d’accessoires détournés de leur finalité : un escalier qui ne conduit nulle part, une poutre, une perceuse, un miroir déformant. C’est là où la poésie s’immisce : des scènes étranges émergent nous éloignant radicalement de toute appréhension au premier degré. Et c’est à mon avis là la force de cette pièce Kreatur : nous pensons savoir où nous sommes, nous reconnaissons le tangible, mais le sens littéral nous échappe et donc nous interroge.
J’avoue que le discours et l’interview très rodés de Sasha Waltz ne sont pas très intéressants pour le spectateur. J’ai préféré me laisser guider parce que j’ai vu sur scène pour en apprécier les tableaux étranges. J’ai été agréablement surprise de retrouver sur scène des danseuses du Tanztheater, à savoir Clémentine Deluy et Thusnelda Mercy. J’aurai bien aimé discuter avec elles de cette expérience après avoir été marquées au fer par Pina Bausch. Cela me donne une envie de rencontre-artiste à organiser quand mon groupe à Paris découvrira Kreatur à La Villette en avril 2019.
Catherine Zavodska, Festival d’Avignon, 12 juillet 2018
Images © Christophe Raynaud de Lage pour le festival d’Avignon
Présentation complète de Kreatur au Festival d’Avignon (images, biographie, bibliographie etc.)
Venir découvrir Kreatur à La Villette du 17 au 20 avril 2019
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