Envergure est le premier terme qui vient à l’esprit quand on regarde le parcours et l’actualité de Sasha Waltz.
A 56 ans, récemment nommée à la tête du Ballet de Berlin avec Johannes Ohmann, ancien directeur du ballet de Suède, celle qui est considérée depuis la disparition de Pina Bausch comme la plus importante chorégraphe allemande contemporaine, impressionne par son parcours prolifique et son succès. Le site web de la compagnie donne le ton et presque le vertige : des collaborations avec plus de 300 artistes et ensembles venant du monde entier, plus de 20 spectacles qui tournent à l’année, des projets au long cours.
Sasha Waltz and Guests qui fête son jubilée en 2018/19 est une entreprise de production culturelle qui pratique l’émulation artistique à travers l’interdisciplinarité et l’internationalité et affiche des vocations pédagogiques et sociales[1].
Kreatur le spectacle, du 17 au 20 avril à La Villette, Paris/En savoir +
Du Tanztheater …
Sasha Waltz a été formée à l’école de la danse expressionniste dès 5 ans. Ses premières créations chorégraphiques, la trilogie Travelogue I, II et III (1993-95) puis Allee der Kosmonautenen (1996), s’inscrivent dans la continuité du Tanztheater dont sa compatriote Pina Bausch est la plus célèbre représentante. Dans ces pièces, il est question de cohabitation, de scènes quotidiennes, d’interactions sensuelles ou conflictuelles traités avec humour dans des décors très concrets et des costumes qui portent l’empreinte d’une époque. Décors et mobilier participent pleinement de ces scènettes, comme le réfrigérateur du Travelogue, le comptoir poilu du bar dans Travelogue II ou encore le sofa de Allee der Kosmonauten.
…à l’architecture chorégraphiée
Fille d’un architecte et d’une galeriste, Sasha Waltz a grandi dans un monde où l’espace, le vide, les volumes et les lignes sont des sources de questionnement permanent. L’espace qui accueille une oeuvre n’est jamais réduit à un réceptacle. Chez cette artiste qui aime les espaces urbains ou industriels, le lieu est une donnée essentielle de l’oeuvre et parfois même la source d’inspiration.
En 1999, elle initie un programme de recherche autour des relations entre corps humain, danse, architecture auquel elle donne le titre générique de Dialogue. Phases exploratoires et performatives, prémisses de futurs spectacles, les Dialogues sont nourris de l’architecture, de l’esthétique et de l’histoire de sites exceptionnels.
Dialogue 99, qui investit l’espace vide du Musée Juif de Berlin, est la première pièce née de ce programme et aboutira à la création de la trilogie sur le corps humain. Le Musée Juif de Berlin est un espace plein de lignes tortueuses, de striures, d’obscurité et de béton, qui offre un sentiment d’écrasement et peu d’échappatoire. Les deux personnalités, l’architecte et la chorégraphe parlent la même langue. A l’architecte, Daniel Libeskind qui affirme « Je fais partie de ceux qui croient que l’espace doit faire éprouver quelque chose d’authentique », elle répond «L’espace porte déjà en lui le thème central. …il doit marquer de son empreinte le langage corporel et permettre ou non certaines possibilités ». Autre illustration, Dialogue 09 rassemble trente cinq danseurs et trente musiciens dialoguant avec vingt salles dans le Neues Museum de Berlin (musée des arts antiques) tout juste restauré et rénové par l’architecte anglais David Chipperfield. Un lieu époustouflant mis en valeur par la chorégraphe déjà riche de l’expérience de quelques opéras chorégraphiques.
Le corps charnel et le corps sculpture
Avec la trilogie sur le corps : Körper (2000) S.(2001) puis noBody (2002), Sasha Waltz interroge le corps dans une perspective anthropologiste. Dans cette trilogie La chorégraphe essayait de « pousser notre intériorité vers l’extérieur » afin de permettre au spectateur d’accéder à ses sensations corporelles. Corps substance, corps morcelé et organique, dans la première pièce, surface du corps, contact et sensualité dans la seconde et enfin questionnement sur la mortalité, les émotions et rituels avec noBody, une pièce postérieure au décès de sa mère et la naissance de son premier enfant. Pour Brigitte Krammer[2], cette trilogie marque un tournant chez la chorégraphe dont l’expression s’est empreinte depuis de gravité. Aujourd’hui, elle traite les corps de manière plus abstraite, parfois avec une sophistication extrême comme l’illustre sa récente collaboration avec Iris van Herpen sur Kreatur (2017) . Le corps est à la fois instrument du mouvement et objet. Il y a chez Sasha Waltz un regard de plasticienne qui tend à regarder le corps des danseurs comme un matériau vivant pouvant se transformer en sculptures mouvantes.
Venez avec DanseAujourdhui à La Villette le 17 avril pour rencontrer la danseuse Clémentine Deluy à l’issue de la représentation.
Kreatur, une recommandation DanseAujourdhui, à La Villette du 17 au 20 avril
La musique
Généralement, Sasha Waltz commence par la scénographie, la musique venant s’ajouter ensuite. Longtemps, elle n’a utilisé que des sons urbains, contemporains. Avec les « Impromptus » de Schubert, chorégraphiés en 2004 elle découvre une « fluidité « et une sensualité propre à la musique classique qui transforme sa manière de travailler et la conduit vers la création de ses futurs opéras chorégraphiques. La partition musicale y est le matériel de base sur lequel construire la partition chorégraphique. Musique, danse et espace sont envisagées comme des dimensions d’égale importance dans le tout qu’elles forment et qui doivent ouvrir une liberté d’interprétation au public. La chorégraphe qui dit « écouter la musique classique avec des oreilles contemporaines « continue d’explorer les interactions entre les deux registres, entre les sons, les silences et le mouvement.
Dialogue
« Les actions contradictoires doivent pouvoir persister et les artistes se rencontrer. Le plus une vision artistique est éloignée de la mienne, le plus il est possible de créer un vrai dialogue et d’élargir le regard du spectateur ». Le Dialogue n’est pas seulement d’un titre générique mais d’un mode de fonctionnement ou de travail. Sasha Waltz se nourrit d’interactions et construit son travail à partir de celles-ci.
Dialogue des corps entre eux, à travers la méthode de contact-improvisation qu’elle a appris à Amsterdam, pratiqué à New York et qu’elle résume ainsi: « Deux personnes entrent en contact et laisse cheminer ce point de contact tout le long du corps ».
Dialogue des corps avec l’architecture ; de la musique avec l’espace, expérimenté avec le déplacement des musiciens, dans Roméo et Juliette (dans le répertoire du ballet de l’Opéra de Paris), ou encore avec Gefaltet (2012) un concert chorégraphique créé avec le compositeur Mark André.
Une grande famille
Sasha Waltz aime travailler en famille. La famille c’est d’abord son mari, Jochen Sandig avec lequel elle collabore depuis plus de 25 ans, ses enfants qui participent parfois aux spectacles, et un petit noyau dur d’une quinzaine de danseurs dont certains sont des compagnons depuis le début de la compagnie et lui offrent le confort d’une compréhension immédiate. A ces derniers elle demande beaucoup, y compris dans le processus créatif. Cette collaboration artistique voulue, assumée se traduit par l’appellation Sasha Waltz and Guests.
L‘art ne connaît pas de limites
« Je suis intéressée par la plus grande liberté possible en art et en aucune limitation de forme ou contenu. «
En 2013, la chorégraphe expose sous forme d’installations des éléments extraits de ses spectacles au ZKM, le Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe. Une consécration sur le plan des arts visuels assez évidente tant la chorégraphe nous a habitué à la transversalité de ses activités qui correspond à l‘esprit du temps où les catégories se fondent, les frontières se brouillent, surtout dans le champ artistique.
La dimension visuelle et l’esthétique aiguisée ainsi que le caractère conquérant de Sasha Waltz l’ont imposé comme une artiste au sens large. Celle qui, jeune femme hésitait entre les arts plastiques et la danse a réussit à réunir ses passions multiples.
Ildiko Dao pour DanseAujourdhui, 16mars 2019
Regardez les très beaux extraits de spectacle sur la chaîne YouTube de Sasha Waltz & Guest
[1] En 2007, création de la Kindertanzcompany, et en 2016 du festival ZUHÖREN, plate forme de rencontres transdisciplinaires et interculturelles conçu comme un espace de rencontre entre l’art et la politique[2] La réalisatrice retrace le parcours de Sasha Waltz de 2006 à 2014 dans un portrait filmé.
Crédits photo du portrait à la Une © Laurent Paillier
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