Simon Tanguy extériorise le language du corps

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Les Sujets à Vif de la SACD au Festival d’Avignon

Des duos d’artistes croisent leur regard, confrontent leurs disciplines, pour créer ensemble une courte pièce de 30 minutes sur un sujet commun. J’aime beaucoup ces propositions de rencontre et j’en redemande chaque année, quelque soit mon, avis de spectateur. En 2014, j’ai été ravie du duo Kaori Ito-Olivier Martin-Salvan, très déçue par Marie-Agnès Gillot-Lola Laffon. Le choix d’artistes, encore jeunes, déjà reconnus dans leur milieu professionnel, moins du grand public, le format court, le minimalisme des accessoires et des décors, le très beau cadre du Jardin de la Vierge du Lycée Saint-Joseph, la convivialité de la rue des Teinturiers à proximité  etc, tout un ensemble de petites choses qui créent chez moi une ouverture à la découverte. Seul hic, il est difficile de trouver des places dernière minute.

Simon Tanguy et Frédéric Ferrer dans la peau d’un schizophrène

« Allonger les toits » est le nom de leur pièce commune. Simon et Frédéric font une démonstration de schizophrénie. L’un est la parole, raisonnable et raisonnante, quand l’autre est le corps Frédéric commence à nous raconter de manière objective des cassures importantes dans la vie de Simon sous le format d’une présentation PowerPoint. Simon, le pied dans le plâtre, est allongé sur un lit d’hôpital. Tout semble commencer comme une exposition de faits véridiques, soutenus par des images comme des preuves du discours. Les spectateurs sont l’objet d’une manipulation du langage. Peu à peu, le discours dérape sans que le spectateur s’en rendre nécessairement compte jusqu’à ce que les rôles entre Simon et Frédéric soient intervertis. Simon et Frédéric sont une seule et même personne, c’est le schizophrène qui nous parle sans nous en douter.

Détournement de spectateurs

« Je suis l’Autre » est le titre de l’édito d’Olivier Py, Directeur du Festival d’Avignon. Simon Tanguy et Frédéric Ferrer semblent s’inspirer de cette phrase pour en détourner le sens politique et s’intéresser à la schizophrénie, forme psychotique de dédoublement de personnalité.

La manipulation du spectateur par les artistes se fonde sur plusieurs procédés éprouvés par les communicants :

la posture de l’homme de science : le discours est émaillé des précisions de dates, de lieux, de noms propres. Frédéric est ancré dans le rôle du Sachant, auquel le public accorde une autorité naturelle de dire la Vérité.

le glissement du langage : la présentation de faits conduise à des questions. A celles-ci, Frédéric répond de manière tautologique : la formulation des réponses est d’un style qui laisse croire à la vérité. Peu à peu, le discours devient délirant. Les néologismes ou l’association farfelue de mots deviennent des vérités. Savez-vous ce qu’est la cerf-volance ? ou l’allongement du cerveau ?

la preuve par l’image : le discours est illustré de projections d’images, comme une vérité incontestable (cartes géographiques, libellé de prises de judo, termes médicaux etc.). Progressivement les images sont une interprétation du discours;

l’humour, c’est bien le meilleur moyen d’attirer le public à soi. Les artistes y réussissent. Je passe un bon moment, le rire permet de relâcher l’attention et nous fait oublier que nous rions des souffrances d’un malade mental.

A la toute fin, nous comprenons que nous venons d’accorder 30 minutes de notre temps à un schizophrène. Est-ce bien raisonnable ? Où était la vérité ?

Simon Tanguy et Frédéric Ferrer ont fait une belle démonstration sur les relations entre langage et vérité. Que représente le langage pour un schizophrène ? Probablement une mise à distance de sa souffrance, un moyen de la surmonter.

Catherine Zavodska

Festival d’Avignon, 15 juillet 2015

« Allonger les toits » de Frédéric Ferrer/Simon Tanguy, 15-21 juillet, 11H

Commande de la SACD (Société des Auteurs-Compositeurs), organisme de gestion des droits d’auteur (consulter le site de la SACD pour en savoir plus)

Crédit photo @ Christophe Raynaud de Lage

PS Photo à la Une de la Cour du jardin de la Vierge, en attendant les photos du spectacle prises hier par Christophe.

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