Valentine Nagata-Ramos – un regard, une posture – portrait de chorégraphe

Valentine Nagata-Ramos - regard, posture © Laurent Paillier

Un prénom dont les racines latines signifient puissance et robustesse et un patronyme qui claque comme un cri guerrier.

Un mélange explosif, un métissage affirmé. Valentine Nagata-Ramos est en effet un peu tout cela et plus encore. Elle a l’oeil rieur et une posture de défi. Battle Girl confirmée, interprète reconnue, la jeune femme (37 ans, dont 20 ans de danse) explore aujourd’hui la chorégraphie pour exprimer ses propres recherches et sujets d’intérêts.

Battle Girl

Enfant puis adolescente, Valentine Nagata-Ramos s’est frottée à toutes sortes de danses : classique, contemporaine, africaine, modern, jazz, sans trop les approfondir. A 17 ans, elle découvre le Hip Hop à la faveur d’un stage animé par un danseur de Kader Attou, aujourd’hui Directeur du Centre Chorégraphique National de la Rochelle. Le Hip Hop touche à la fois à la musique, à la danse et à l’art avec les graffeurs. Elle s’identifie d’emblée à cet univers. C’est la musique qu’elle écoute, l‘énergie qui l’anime et l’ambiance qui lui convient.

Quand Valentine s’initie au breakdance dans les années 90, le mouvement est encore relativement confidentiel en Europe ; à l’époque, pas de cours dispensés par des professionnels, ni tutoriels sur internet. Le Hip Hop et le breakdance, qui lui est rattaché, viennent de la rue, nés en 70 dans les quartiers populaires du Bronx. A New-York ou en Europe, c’est un peu la musique des bad boys et de la frime, une musique boostée à la testostérone où les Bgirls peinent à figurer. Ce n’est plus du tout le cas à l’heure actuelle, les filles/femmes figurant désormais en très belle position dans la discipline.  Bref, dans les année 90, le langage et les mouvements très codifiés du breakdance s’apprennent en se déplaçant et se rencontrant de manière inter-régionale. Les jeunes breakers se rencontrent pour apprendre et se défier. Bboys and Bgirls ont l’esprit de tribu et de compétition.

Valentine Nagata-Ramos intègre le crew Fantastik Armada, qui, de 2003 à 2007, participera et se placera régulièrement parmi les gagnants du Battle of the Year, LA compétition internationale de breakdance. Elle participe également aux spectacles de la Cie Black Blanc Beur dès 2004, et à la Cie Par Terre de Anne Nguyen, autre talentueuse breakeuse passée à la chorégraphie.  En 2011, Valentine Nagata-Ramos a envie d’exprimer ses propres préoccupations et crée sa compagnie, Uzumaki, afin de monter sa première pièce Sadako.

Uzumaki

Il n’y a évidemment rien d’anodin dans ce nom qui signifie tourbillon en japonais. Uzumaki renvoie avant tout et nécessairement à ses origines filiales et culturelles. Uzumaki évoque le Japon, les typhons, et pour certains ce sera un clin d’oeil au personnage principal du célébrissime manga « Naruto ». Uzumaki c’est aussi une forme d’énergie qui vient du dedans et absorbe ce qui l’entoure, c’est enfin un mouvement qui évoque les figures en spirale indissociables du break où les danseurs tournent sur eux-mêmes, sur un ou deux membres ou sur la tête.

Le métissage en héritage

Valentine est à la croisée de deux cultures et tempéraments (voire trois, elle qui a grandi en France). L’extraversion espagnole et la retenue nippone, l’énergie des deux côtés, telle est l’expérience et l’héritage familial de la chorégraphe.

Son métissage est fait de contrastes et de conflits mais aussi d’interactions et adaptations.  Elle retrouve cela dans le breakdance qui rassemble toutes sortes de communautés. Une danse totalement contemporaine, qui appartient à ceux qui la pratiquent bien plus qu’à ceux qui en sont spectateurs. Valentine se revendique comme Bgirl, c’est à travers le break qu’elle s’est formée, c’est la danse qu’elle pratique et revendique comme héritage.

Le métissage en pratique

La première chorégraphie de Valentine, le solo Sadako, est né du désir d’explorer ses racines japonaises : danse, musique, histoire. Les origamis qu’elle a appris à faire avec ses grands-parents, la découverte des musiques traditionnelles et contemporaine du Japon : celles des tambours, les taikole chant strident du Gagaku réservé aux empereurs ou les compositions de Ryuchi Sakamoto. Elle s’intéresse à l’énergie intériorisée du butô, à la lenteur des mouvements, aux antipodes du breakdance à l’énergie explosive, instinctive et s’ancrant dans la terre.

Elle a envie de créer quelque chose de cela, travailler sur les énergies, les conflits et les contrastes : rapidité versus lenteur ; extraversion versus retenue ; traditionnel versus contemporain. Sadako puise dans son questionnement personnel mais aussi le patrimoine collectif pour évoquer l’enfance sacrifiée, les conséquences de la guerre et le désir de paix.

Rassembler en conservant les identités

La chorégraphe est une puriste, très claire sur ses choix. Son parti pris est de défendre chaque danseur dans sa discipline, sa spécialité. Elle-même se définit comme breakeuse et est choisie comme telle par d’autres chorégraphes. Elle veut bien mélanger les danseurs sur scène mais chacun garde son style. Pour sa troisième pièce My Milk is better than yours, il y a un danseur de voguing, deux breakers et potentiellement un musicien. Pour Valentine, le mouvement part toujours de la musique, et ici elle avait demandé au compositeur de créer des morceaux divers : parfois avec paroles inspirées de comptines, parfois à la guitare électrique, en s’ajustant aux danseurs issus de mouvances différentes …Comme beaucoup de chorégraphes contemporains, elle commence à travailler en observant les danseurs : comment ils réagissent, interagissent, évoluent en fonction de la musique et de leur déplacements propres, s’adaptant ou s’adoptant entre eux. Elle considère que son travail consiste à saisir ce qui émerge.

Et maintenant…

La Battle girl connait une évolution intérieure. Elle parle de sa danse qui devient plus ronde et tend vers une énergie intériorisée. Elle y va à petits pas : un, deux, trois. Solo, duo … Des pièces qui illustrent son cheminement personnel et identitaire et la confirmation d’un vivier de chorégraphes issus du mouvement Hip Hop.

© ildiko dao pour DanseAujourdhui, 13 novembre 2018

Contact : ildiko@lamuniere.ch

Crédits photo © Laurent Paillier (série Portrait-Posture pour DanseAujourdhui)

Visiter le site officiel de Valentine Nagata-Ramos et des extraits-vidéo sur la chaîne You Tube de la compagnie Uzumaki

 Nouvelle création programmée à La Villette, dans le cadre du Festival Kalypso 2018

Dans My Milk is better than yours, Valentine Nagata-Ramos évoque les rapports particulier mère-fille, fait de complicité et de rivalité. Elle parle de ce que l’on transmet malgré soi. Elle-même s’interroge sur ce qui l‘a poussée à adopter une telle discipline, car le break est une danse qui fait mal, une danse où l’on flirte avec ses limites physiques. La chorégraphe tisse des liens entre le rapport au sol, à la terre et le rapport à la mère, le fait d’être à quatre pattes, ou la tête en bas comme lors d’un accouchement.  La scène est un ventre maternel, un espace où les danseurs se découvrent, se séduisent, jouent ensemble ou se battent pour s’imposer dans un espace qui grandit. Une figure extérieure les contient, les recouvre, les protège et les borde parfois d’un fin film jouant la membrane matricielle. Les danseurs se dessinent en ombres chinoises, évoquant des échographies.

C’est une recommandation DanseAujourdhui, à voir en groupe le samedi 17 novembre, 20h

En savoir + sur la création 2018 de Valentine Nagata-Ramos

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