Le chorégraphe belge Wim Vandekeybus opère un retour aux origines avec What the Body does not remember. Il revisite sa première pièce , créée il y a près de trente ans, et célèbre un corps qui découvre les saveurs de l’inconnu.
Et si le corps avait oublié. Oublié comment se lever, oublié le simple fait de marcher, oublié la sensualité, sans même parler de danser. C’est sur ce présupposé un peu loufoque que Wim Vandekeybus a bâti toute une série de saynètes qui composent « What the body does not remember ».
Bien sûr il y a de l’ironie , un clin d’œil un peu taquin à feindre de ne pas savoir , pour mieux explorer les origines du mouvement. L’exercice on l’aura compris est un prétexte qui permet aux danseurs d’explorer avec une virtuosité toute fraîche les gestes les plus simples.
A commencer par la marche. Comment se mettre debout et s’arracher à la pesanteur ? Sur une scène striée de raies de lumière, comme le lignes d’un cahier d’écolier, deux corps allongés, engourdis, se tournent et se retournent pour trouver un sommeil qui ne viendra pas . Mais l’institutrice, raide derrière son petit pupitre de bois vient impulser le mouvement. Sur la table les paumes de ses mains glissent et miment une chorégraphie imaginaire à laquelle répondent magiquement les corps plaqués au sol. Mais soudain la maîtresse frappe des mains et comme réveillés par une impulsion électrique, les corps s’extraient du sol. Nouveau clap, ce sont les jambes qui s’envolent. Le chorégraphe trouve ici un plaisir certain à revisiter les figures du hip hop. Figures couchées ou le corps ne prend pas appui sur les pieds pour se lever, mais sur la tête ou sur le haut du torse ou du dos.
Inverser, réinventer les gestes du quotidien il en sera aussi question jusqu’à l’absurde autour d’une chaise. Elément emblématique s’il en est, de la chorégraphie contemporaine ! Wim Vandekeybus, dans What the Body, s’en saisit d’emblée comme un objet tombé de Mars. Et comme un alien, il en explore les usages. C’est ce penseur, assis mais instable sur un seul pied …de chaise. Ou ce dormeur qui couche la chaise au sol et feint de s’y asseoir, avant de finalement lui trouver une posture très confortable, quoique bien peu orthodoxe. Et ce sont alors tous les autres danseurs, sagement et classiquement assis sur leur chaise à quatre pieds qui nous paraissent terriblement fous et décalés. Leur gestuelle est figée, trop apprise. D’ailleurs ils nous miment leur inconfort le temps d’une pose pour une photo de famille, ou d’un cliché de mode , trop artificiels.
C’est un peu comme s’il fallait tout réapprendre. Marcher comme un enfant qui aurait décidé de traverser la scène sur les pas japonais des jardins de notre enfance. On avance sur des briques de craie sans jamais toucher le sol. Les trois danseurs bien entendu y excellent, quand ils feignent de chanceler pour ne jamais tomber. Mais leur brique s’effrite, se change en poussière qui remplit l’espace.
Car il est beaucoup question de pesanteur dans ce spectacle de Wim Vandekybus, What the Body (…)
Scène de fin où des robots aux pieds de plomb parviennent à impulser du rythme, à bouger et même à danser.
Scène de danse avec plume, qui nous rappelle le rêve le plus fou de l’homme : voler… auquel le projet de danser n’est pas vraiment étranger…. On rit et on s’émerveille à la vue des trois danseurs qui soufflent pour faire voler une petite plume. Tableau suspendu dans un voile de poésie. Mais la plume s’accroche où on ne l’attend pas. Au coin d’un œil. Pire. On manque de l’avaler et de s’étouffer. Et, on a beau souffler, une plume mouillée ne vole plus si bien, ne s’élève plus si haut.
Jouer avec l’air, le poids, et l’eau. Un petit précis de danse, en somme.
Frédérique Lebel, journaliste à Radio France Internationale, pour l’émission Accents d´Europe. Passionnée de danse.
Lire un autre article de Frédérique Lebel « Empty Moves I, II, III – la pureté du geste » sur le blog DanseAujourdhui (catégorie : Angelin Preljocaj)
Voir le calendrier de la tournée de la compagnie Ultima Vez pour ne plus manquer What the body : Sète, Marseille, Biarritz et à l’étranger
S’inscrire à la newsletter DanseAujourdhui pour suivre la programmation de Wim Vandekeybus en Ile-de-France
Photo à la Une : © Octavio Iturbe – Autres photos : © Danny Willems
1 Commentaire
-
merci pour ce joli texte qui éclaire une pièce qui avait rendu heureux le spectateur que je suis !
Répondre
Vous devez être connecté pour ajouter un commentaire.